Né le 25 mai 1868 à Combourg, il est le fils de l’industriel Victor Thomas, qui possédait la Briqueterie Thomas, située sur la route de la gare, face à la scierie Rahuel. Victor Thomas père fut aussi maire de Combourg à plusieurs reprises (1876-1877 / 1878 / 1880-1885).
Durant sa jeunesse, Victor Thomas fils a commencé à écrire des poèmes et des nouvelles, mais c’est à l’âge de 16 ans, en 1884, qu’il publie son premier poème «L’Enfance» à Toulouse avec succès. Il remporte ensuite plusieurs récompenses dans différents concours, dont son Ôde «Le Songe du Dante», premier prix avec palme d’argent au grand concours annuel de la Revue de la littérature moderne. Cependant, l’insouciance de sa jeunesse se brise avec le décès de son père en 1885. Il se voit alors contraint de reprendre la briqueterie familiale à 17 ans.
Sa muse ne l’abandonne pas et, à côté de ses obligations d’industriel de la Brique, il continue d’écrire des poèmes, mais également une pièce de théâtre, «Le Trouvère», dont la première a lieu le 7 juillet 1889 dans les halles de Combourg.
Louis Tiercelin en fait une critique fort positive dans «le Glaneur breton». Victor Thomas rejoint alors le «Parnasse Breton» (regroupement des poètes bretons) et ses poèmes sont publiés régulièrement dans les revues «l’Hermine» et «Pour fuir».
Il publie ensuite un recueil «Par la lande» dont Louis Tiercelin en signe la préface. Dans l’année des poètes de 1891, Olivier de Gourcuff écrit : « Je connais des livres plus savants ; je n’en connais pas de plus charmants que celui de M. Victor Thomas… M. Thomas a pour parrain le grand ancêtre à tous nos écrivains, Chateaubriand : il habite Combourg, et promène souvent sa rêverie dans les bois qui ont bercé l’enfance de René… La ballade, le rondel, la sextine, la villanelle, se sont courbées, dociles, sous sa main déjà experte. Il a forgé de beaux sonnets, et s’est essayé aux rythmes les plus divers. »
Dans «la fin de siècle» du 31 octobre 1891, René Emery écrit : « Un poète breton, M. Victor Thomas, chante avec la mélancolique sincérité de Brizeux la terre de Granit, semée de fleurs d’or. Ce n’est pas un parnassien, pas plus qu’un symboliste, mais un doux poète qui aime la lande, en comprend les sauvages mystères. Ses vers sont simples, d’une artistique simplicité : ils évoquent, avec leur tendre mélodie, toute la poésie de la vieille Armorique, demeurée sauvage, qui cache à l’étranger, jalousement, ses légendes naïves, son âme farouche. Par la Lande, un des rares recueils qui nous viennent de province, avec un cachet si pittoresque, si sincère. »
L’abbé Dolois François Duine, dans son livre « Souvenirs et observations », dira de ce recueil : « Rester auprès de Chateaubriand a porté bonheur à M. Victor Thomas. Son délicieux volume de vers prouve la vérité de cette fine comparaison de saint François de Salle « le chant des rossignols apprentifs est plus harmonieux incomparablement que celui des chardonnerets les mieux appris ». Et bientôt, nous en sommes persuadé, M. Victor Thomas deviendra sans peine un maître rossignol dans son art ».
En réponse aux propos de l’abbé Duine, Victor Thomas lui envoie ce poème :
« Ce livre, hélas ! je dois le dire,
Victor Thomas
Est si frivole, en vérité !
Qu’il n’a certes pas mérité
Que quelqu’un s’arrête à le lire
J’aurai bien dû briser ma lyre,
Et ce désir-là m’a hanté ;
Mais, sitôt que je l’ai tenté,
J’ai vu la Muse me sourire.
Puis un bon jour mes pauvres vers
Dont plus d’un marche de travers
Se sont éloignés au plus vite…
Je ne me repens qu’à moitié :
Mon petit livre a son mérite,
Puisqu’il me vaut votre amitié. »
Le 25 août 1890, il épouse à Sévignac, Florence Louise LUCAS, fille du receveur buraliste de la dite commune. De leur union naît une fille unique, Florence Marie, le 18 juin 1891 à Combourg.
Ses activités à la Briqueterie fonctionnant bien, un banquier de Saint Malo, Samuel SIRE, propose de l’aider financièrement à accroître ses capacités de production. Ce que Victor Thomas fait en construisant deux nouveau fours à brique et en installant une machine à vapeur en 1890, puis un autre four, un séchoir et des bureaux en 1893 et enfin un autre séchoir avec sous-sol en 1894. Sauf que le banquier était retors, et en 1895, il exige le remboursement immédiat de l’argent prêté. Comme c’était impossible, il obtient en compensation, pour éviter la faillite, que Victor Thomas lui vende la briqueterie, le délestant au passage d’une grande partie de son héritage. Victor Thomas quitte alors Combourg et tente d’ouvrir une nouvelle briqueterie à Landerneau. Mais au bout de deux mois, c’est la faillite, et le peu d’argent qui lui restait disparaît dans l’affaire…
Victor Thomas décide alors de quitter la Bretagne avec sa femme et sa fille pour gagner la capitale.
Arrivé, il prend le pseudonyme de Thomas Chesnais, continuant ses poèmes sur la Bretagne, mais ajoutant une nouvelle corde à son arc, celle de l’ironie sur des sujets d’actualités et politiques. Il se produit dans les cabarets littéraires de Montmartre tel « le Chat noir » de Rodolphe Salis où sa première apparition, le 10 mars 1896, est un vrai succès. Le journal « Le Gaulois » fait état de cette première :
« Hier soir, au théâtre du Chat-Noir, révélation d’un nouveau poète dont le nom (il s’appelle Chesnay) a été chaudement salué par le public montmartrois. Voici quelques vers de ce barde ironique :
O mère qu’adorent les maires,
Toi dont Faure est le nourrisson,
Toi qui fis verser à Brisson
Tant et tant de larmes amères !
O république de mon coeur !
Qu’on ose appeler Marianne,
Toi qui, mieux encor que Diane
Sais brandir le carquois vainqueur !
Puisque c’est toi qui nous consoles
De notre destin si cruel
Fais donc nommer M. Porel
Chef de gare aux Batignolles
Donne un théâtre à monsieur Becque,
Donnes en quatre à Caliban !
Aux députés, pour du ruban,
Donne de l’or, jamais de chèque !
Mais surtout, surtout prends bien soin
De donner, prévoyante mère,
Au duc d’Audiffret, la grammaire
Dont il a si souvent besoin.
La république blaguée à Montmartre… Allons, il y a encore de beaux jours pour la France ! »
Il joue également au « Carillon » de Georges Tiercy et à « l’Âne rouge » de Gabriel Salis. C’est en ce dernier lieu qu’il se fait arrêter le 2 avril 1896 par un sergent pour la banqueroute de sa briqueterie de Landernau. Il est emmené à la prison de Brest où il reste au secret pendant l’instruction de son affaire qui dure 5 mois jusqu’à ce que le tribunal décide de délivrer une ordonnance de non-lieu. À son retour à Paris, il est interviewé en première page du journal de Clémenceau « La Justice » dans son édition du 23 septembre 1896 où il raconte son histoire.
« Un grand garçon au visage habillé d’une barbe brune très fournie. L’œil est sympathique et il émane une grande douceur, pleine d’Intellectualité. Les cheveux longs sont d’un bon bohème. Une âme enfantine dans un corps de vingt-sept ans. Ce qu’il nous a raconté est tel que, n’était le ton d’absolue sincérité de son récit, on serait en droit de se demander si vraiment de pareils faits ont pu se produire dans un pays comme le nôtre, qui s’enorgueillit si bruyamment de sa haute civilisation. C’est d’ailleurs Thomas Chesnais lui-même qui va nous narrer sa lamentable odyssée.
– Vous fûtes arrêté ?
– TC : Oui, arrêté à l’Âne Rouge même, où je disais mes vers tous les soirs. Étant failli, j’étais passible d’emprisonnement pour avoir négligé de tenir des livres réguliers. Ma faillite, de ce chef, se voyait qualifiée de banqueroute. Mais pouvais-je soupçonner qu’un malheureux poète, ruiné par ses spéculations d’industriel, plus rêveur que pratique, devait se révéler comptable pour établir mon honnêteté ? J’étais bien tranquille à Paris, ne m’y cachant nullement, et j’y vivais. Tout d’un coup me voici jeté en prison, à Brest, soumis à l’instruction secrète. Comme régime, deux soupes maigres, un œuf, deux cent cinquante grammes de pain ! Au bout de six semaines seulement, on m’accorde un peu de viande, cent trente gramme par jour ! Et je tombe malade. Je porte au cou deux grosseurs qui attestent les douceurs de la détention qu’on m’a fait subir. J’ai contracté une adénite cervicale qui me défigure et m’empêche tout travail, sans parler d’une ankylose des genoux qui me fait beaucoup souffrir. Et cela a duré quatre mois ! On n’a consenti à m’admettre à l’infirmerie que lorsqu’il n’a plus été possible de m’employer, de m’exploiter.
– Vous exploiter ? Et comment cela ?
– TC : Oui, à la prison de Brest, on n’a cessé de m’employer. Il s’agissait de corriger et de copier en double toutes les fiches du service anthropométrique. Tout d’abord, ça a été l’initiation. J’ai dû me mettre au courant des méthodes de M. Bertillon. J’ai fait un véritable cours d’anthropométrie. Puis, quand je fus jugé suffisamment instruit, on me confia le travail des fiches, aussi fastidieux que fatiguant, et cela même lorsque m’anéantissait la maladie. Il y a pourtant une loi qui interdit de contraindre les prévenus à un travail quelconque… Enfin, après cinq mois de souffrances, une ordonnance de non-lieu intervenait. J’étais libre ! Entré à la prison de Brest en bonne santé, j’en sortais moribond, avec des maladies qui m’interdisent pour longtemps encore tout labeur. Mes amis ne me reconnaissent point. Je retrouvais chez moi les traces de la plus profonde détresse. Ma femme, pour vivre, avait dû prendre du service en qualité de bonne à tout faire chez une concierge. Je me suis dit alors que l’on devait faire quelque chose pour moi, qu’il n’était pas possible qu’après avoir fait souffrir pareillement un homme, on ne l’indemnisât pas de quelque façon. J’ai travaillé pendant quatre mois indûment à la prison de Brest. On ne m’a rien donné pour ce travail. J’entends être payé !
– Avez-vous déjà fait quelques démarches ?
– TC : J’ai pu voir le secrétaire particulier du ministre de la justice. Il m’a laissé espérer une indemnité. Mais je ne peux m’en tenir à de vagues promesses. Il faut du pain à la maison. Qu’on me paye, et je verrai à me tirer d’affaire ensuite ! J’ai ma femme et mon enfant à nourrir.
Il entre fin 1896 au cabaret du « Chien noir » de Jules Jouy, où il obtient un grand succès avec ses Poèmes ironiques. Dans l’Avenir artistique du 1er janvier 1897, André Serpil écrit que Thomas Chesnais est un « vrai et puissant humoriste » et qu’il va prochainement faire paraître ses poèmes ironiques. Ce nouveau recueil se nomme finalement “Tendresse et Ironie”. Le journal « La Justice » en donne plusieurs extraits.
Début décembre 1896, il est nommé rédacteur en chef de l’Amaranthe, revue destinées aux jeunes filles, mais cela ne dura guère longtemps.
En février 1897, vraisemblablement après avoir obtenu l’indemnité qu’il réclamait, il fonde, sous le pseudonyme de Victor Thomas-Chesnais, une revue « Paris Bretagne » à destination des Bretons de Paris. Le premier numéro paraît le 14 février, les auteurs qui y participent sont Charles Le Goffic, Louis Tiercelin, Théodore Botrel, Thomas Maisonneuve etc…
Malheureusement, la revue ne dure pas et quelques semaines plus tard, elle disparaît. À court d’argent, les cabarets payants fort mal leurs artistes, et sa revue n’ayant pas eu le succès escompté, il se livre à l’escroquerie à l’annonce. Suite à un vol, dont il n’avait rien à voir, notre poète est arrêté le 19 juin 1897. Rapidement, il est disculpé du vol, mais en perquisitionnant sa chambre, la police découvre plus de cinq cents lettres ayant contenu des mandats, bons de poste et des timbres. En effet, il faisait paraître dans les journaux des annonces offrant des emplois très lucratifs de 5 à 20 francs par jour suivi de la mention “Timbre pour réponse”. Les demandes affluaient, mais il partait alors pour une autre destination sans avoir embauché qui que ce soit. Il est condamné par jugement du tribunal correctionnel d’Amiens en date du 20 juillet 1897 à 4 mois de prison pour escroqueries et tentative d’escroqueries.
Sorti de prison en janvier 1898, il tente de se reprendre et participe à l’équipe éditoriale de la revue « Le Grand Guignol ». Mais la revue ne faisant pas long feu, il se retrouve à nouveau dans la difficulté et renoue avec ses arnaques. Du reste, cela ne dure guère longtemps, et après enquête, en août 1898, la police remonte jusqu’à son domicile au 17 boulevard de Vaugirard à Paris où il est de nouveau arrêté. Pour éviter une nouvelle incarcération, il disparaît et fuit à l’étranger. Et c’est par défaut qu’il est condamné par le Tribunal correctionnel d’Orléans en date du 16 juin 1899 à 3 ans d’emprisonnement pour escroqueries.
Il part alors en Belgique, passe par l’Angleterre, puis arrive en Hollande vers début 1899. C’est de là qu’il fera éditer en France un nouveau recueil de poésie « Florilège : Le village, Montmartre et l’exil » en mai 1899. Voici comment est présenté le livre dans l’édition du 7 juillet 1899 du « Libéral de Vendée » :
« Le but est loin d’être atteint et le chemin parcouru a lassé le voyageur avide d’horizons nouveaux. Quelques heures de sieste à l’ombre d’un bouquet d’arbres d’où s’égoutte une fraîcheur bienfaisante et le marcheur harassé jette un long regard en arrière.
Dans les lointains embrumés les étapes se devinent. C’est d’abord Le Village, puis Montmartre, et l’Exil, enfin, dans ce coin perdu où règne une solitude attristante et désolée.
Le Village éveille la joie attendrie des souvenances adolescentes. Toute la série des amours défunts défile avec la diversité des figures et l’ingénuité des affections. Le bourg maussade, le bois profond, la grève et la lande, dont le souvenir le hante sans trêve le ramènent en ce pays d’Armor où les vierges sont blondes avec des yeux agrandis par la rêverie.
Et le poète-voyageur parle a la brise de Celle qu’il aimait sans pouvoir dire pourquoi il l’aime ni quelle est la préférée de Floriette, Odette, Janik ou La Châtelaine. Jadis, entre les aveux et les caresses, s’essorait, adorablement douce, la chanson des choses qui l’entouraient, à l’époque bénie où il promenait son rêve d’idéal et d’amour dans la campagne bretonne.
La nostalgie du grand Paris a envahi l’âme du poète et la séparation de la vieille mère et de la sœur s’est faite sans trop de regret. Le vent de la côte, la petite bruyère rose, les grands bois chuchoteurs, la lande dénudée, l’amour de la Très Chère n’ont pu retenir au village « l’enfant terrible » qui a soif de renommée et peut-être plus soif encore des plaisirs malsains que garde la capitale. Et voici que par les rues où grouille une foule indifférente, le petit Breton marche déjà désabusé, déjà meurtri par les défaillances amicales et les misères de toutes sortes. L’indécrochable étoile qu’est la gloire luit toujours du même éclat attirant mais les efforts accomplis pour l’atteindre restent toujours vains et décevants et, de guerre lasse, désireux malgré tout de popularité même éphémère, le poète monte sur les tréteaux de Tabarin et tisse, maintenant, d’ironies et d’amertumes les strophes faites autrefois d’azur et d’idéal. À la porte de la boutique littéraire il fait le Boniment, écrit pour Sarcey l’Ode à notre oncle, suit les Trottins de la Butte, nous conte les mésaventures arrivées à son Ours chez Marck et Desbeaux, chante une Ballade en l’honneur de notre hôte et politiquaille avec excellentes rimes… et raisons non moins excellentes, puis, écœuré des pitreries auxquelles l’oblige la lutte pour l’existence, il exhale, en attendant l’Exil, quelques plaintes si douloureusement poignantes qu’elles le font prendre en pitié.
Je songe au village natal
Perdu dans la lande bretonne,
Au village, où chacun s’étonne
De m’avoir vu « tourner si mal »
Fraîche et rose une enfant babille,
Parmi les oiseaux et les fleurs,
Ne sachant rien de nos douleurs
Et cette enfant-là, c’est ma fille !
Comme une feuille au gré du vent,
J’ai dû fuir la lande et la grève,
Mais je veux revoir, mieux qu’en rêve,
Ma sœur, ma mère et mon enfant.
L’adieu à Paris pervers vient d’être prononcé sans faiblesse et c’est dans les brumes de la Hollande que sonneront bientôt les heures d’Exil.
Les carillons de Bruges chantent des mineurs si lugubres dans les grisailles attristantes qu’il font fuir le poète vers d’autres cieux plus riants. Mais le spleen farouche ne lâche pas sa proie et le Breton, sentimental et tendre, ironique et gouailleur, ne cueillera plus maintenant que des fleurs décolorées, tristes à l’œil et acres au respir.
Pourquoi suis-je venu m’exiler en Hollande,
Où l’immense prairie a des langueurs de lande
– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –
J’ai tenté d’éloigner ce souvenir amer.
Mais en quittant le bois je rencontre la mer
Et je me sens plus triste encor sur cette grève
Pourquoi suis-je venu dans ce pays de rêve ?
Et, le livre fermé, je ne me suis pas senti le courage de faire ma besogne de critique. Au courant de la lecture j’ai simplement noté ces impressions que le manque de place ne me permet pas de développer. Je me bornerai donc à constater que le Florilège est un livre de valeur, rempli de vers superbes, et de sentiments sincèrement et puissamment exprimés et que Victor Thomas est un véritable poète auquel je souhaite un prompt retour à la terre bretonne qu’il aime tant et qu’il a si bien chantée. Il y trouvera, parmi les êtres qui lui sont chers, la quiétude et le calme dont il a si grand besoin ».
Le succès semble cette fois au rendez-vous comme le démontre un article publié dans la république du Morbihan du 29 octobre 1899 : « Un beau et bon livre – un livre humain aussi – qui doit avoir en Bretagne le succès qu’il a trouvé en Hollande et à Paris, où une deuxième édition va paraître prochainement. »
Le 9 décembre 1899, le journal « L’Aurore » annonce que le poète Victor Thomas, vient de faire recevoir au théâtre de La Haye un drame en vers, Maître Pierre, dont le héros est Pierre le Grand. Fin mai 1900, il participe à la création de l’Association Internationale de l’Idée Française toujours à La Haye, sous le patronage de Sully Prudhomme. Son séjour en Hollande, lui permet d’apprendre la langue néerlandaise et de découvrir la peinture flamande, sujet qui l’intéresse particulièrement et qui lui sera bien utile par la suite.
Finalement, en août 1900, il revient en France et pour en finir avec son passé trouble, il fait opposition au jugement qui avait été prononcée par défaut en 1899 à Orléans. Le Tribunal correctionnel en son jugement du 16 novembre 1900 réduit sa peine à 8 mois de prison. Sa peine effectuée, il peut reprendre une vie honorable.
Victor Thomas utilise les connaissances qu’il a acquises et les contacts qu’il a noués en Hollande pour fonder en septembre 1902 la « Maison d’édition de l’Épreuve ».
Il propose à la vente des gravures appelées « eau-forte » d’œuvres de Rembrandt et d’autres maîtres, par un procédé de reproduction qui fait de « toute la collection une petite merveille à des prix très modestes ». Il met également en vente sa traduction du livre en néerlandais de Pol de Mont : « Van Dick, sa vie et ses œuvres ».
Le 15 novembre suivant parait le premier numéro d’une nouvelle revue d’Art mensuelle : « L’Épreuve », qui est la continuation de la « Revue de l’Art antique et moderne » fondée en 1898 à Harlem en Hollande par MM. Kleinmann et Cie. Victor Thomas est directeur de la maison d’édition et le rédacteur en chef de la revue.
Cette dernière est d’ailleurs une vraie réussite dès son premier numéro. Jean d’Yvelet, journaliste au « Journal », rapporte que « c’est le grand succès artistique de l’année, succès parfaitement justifié par la beauté des gravures et par le but même que se propose L’Épreuve : populariser les chefs-d’œuvre de tous les temps et de tous les pays, en donnant de très belles reproductions à des prix très modestes. Le premier fascicule reproduit hors texte huit chefs-d’œuvre de Rembrandt […] le tout commenté dans une belle étude sur Rembrandt par Victor Thomas. […] on ne pourra s’étonner de l’immense succès qu’obtient L’Épreuve, qui se place ainsi d’emblée au premier rang des revues d’art européennes ».
Victor Thomas écrira dans « l’Épreuve » de nombreux articles dont : « Les Primitifs français : le projet de M. Henri Bouchot », « Étude sur Jan Steen », « Notice sur les Visitations de Rubens », « L’œuvre japonaise de Georges Bigot », « Albert Belleroche », « L’œuvre de Paul Prince Troubetzkoy – L’Homme et l’artiste »…
Dans un article du journal «La France» dans son édition du 18 octobre 1903, il est signalé que notre poète travaille sur un «testament» dans le style du testament de Villon. Ce petit volume ne fut jamais publié.
L’Épreuve décide en 1904 de présenter et reproduire les principales œuvres exposées dans les musées parisiens et Victor Thomas obtient l’autorisation de la ville de Paris, en date du 19 juillet 1904, de prendre des reproductions photographiques dans tous les musées parisiens. Le musée Galliera est le premier a être présenté dans le numéro 18.
En décembre 1904, il devient secrétaire du comité formé pour élever un monument à Tolstoï, sous le patronage de M. Berthelot et d’Anatole France et sous la Présidence de Paul Adam. Victor Thomas apparaît en 1905 comme membre de la Société des Amis du Louvre.
Cependant, « L’Épreuve » cesse de paraître à la fin de l’année 1904. Et c’est avec Armand Dayot comme directeur et Victor Thomas comme rédacteur en chef que paraît « L’Art et les Artistes » en avril 1905. Il rédige alors la rubrique «Le mois artistique». Mais, en désaccord avec Dayot, il quitte la revue avant le second numéro.
Le 1er février 1906, Victor Thomas relance «L’Artiste», revue bi-mensuelle d’art ancien et moderne, qui avait disparu en décembre 1904.
Mais c’est la découverte et l’achat par Victor Thomas de Cuivres originaux réalisés par Rembrandt lui même qui fait la une des journaux qui parlent de « Trésor de l’Art ». Rapidement, un débat est lancé sur l’intérêt de ces cuivres dont « L’Artiste » met en vente la reproduction de 50 eaux fortes issues de ces cuivres au prix de 200 francs, et même 1 000 francs dans une édition luxueuse. Leur qualité historique est évidente, mais la qualité artistique laisserait à désirer, en raison soit de la mutilation de certains cuivres, soit de leur usure importante. Cette controverse met un terme prématuré à l’existence de la revue. Rachetés par Victor Alvin-Beaumont, les cuivres sont exposés à Paris en mai, et leur qualité artistique réévaluée positivement.
Victor Thomas travaille durant l’été 1906 sur une nouvelle revue destinée à un cabaret de Montmartre et qui porterait le nom de « Madame sans Hyène ». Le projet n’aboutit pas.
Lassé de la vie parisienne et de ses vicissitudes, Victor Thomas quitte la France en 1907 pour s’installer définitivement en Angleterre.
Arrivé à Londres, il prend un nouveau pseudonyme : Th. Gringoire, et fait la rencontre du grand chef français de Londres Auguste Escoffier, alors chef cuisinier du Carlton. Il rédige des articles sur l’actualité littéraire française, notamment pour le Daily Mail.
C’est ensemble qu’ils décident de créer en juin 1911 les «Carnets d’Épicure » : revue mensuelle des Arts de la table, littéraire, philosophique et gourmande». Cette revue est rapidement devenue une référence pour les gastronomes, tant pour ses fondateurs que pour sa singularité.
Quelques mois plus tard, les deux mêmes créent la « Ligue des gourmands ». L’idée leur en était venue au cours d’une de leurs conversations sur la cuisine et la gastronomie, le 25 février 1912. Dès le 3 mars, la Ligue prend forme. L’objectif est de «démontrer partout dans le monde l’excellence de la cuisine française» et que celle-ci n’est pas du tout en décadence, à l’inverse de ce que proclament alors certains pessimistes.
Dans ce but, la Ligue organisera en tous pays des dîners tous les deux mois, les «Dîners d’Épicure» qui auront lieu le même jour et dont le menu sera partout le même. Le Cecil Hôtel de Londres est choisi pour le premier Dîner d’Épicure. Celui-ci se déroule le 25 mai 1912, réunissant 300 personnes au Cecil et plus de 4 000 dans 37 restaurants éparpillés dans le monde. Le deuxième Dîner a lieu le 27 juillet 1912 dans plus de 50 restaurants dans le monde, y compris au Grand Hôtel de Yokohama, réunissant 5 400 personnes. Tous les deux mois, ces Dîners se succèdent, rassemblant de plus en plus de convives. Ils seront plus de 140 restaurateurs dans le monde (Londres, Paris, New-York, Pittsburgh, Bombay, Lahore etc.) lorsque se déroulera le dernier Dîner d’Épicure, le 14 juin 1914. La première Guerre Mondiale les stoppe brutalement, de même que les Carnets d’Épicure.
Un poète accompli, lu et reconnu par le Roi d’Angleterre
Le 8 octobre 1912, à l’occasion de l’inauguration du Théâtre «Cosmopolis», il écrit un poème : La citadelle, mais surtout il y présente une nouvelle pièce de théâtre : un bon modèle, comédie en un acte. Les critiques sont élogieuses « a trouvé le plus agréable et le plus franc des succès. L’auteur a prodigué dans ce petit acte l’esprit le plus fin et le plus délicat, dosé le plus agréablement du monde la fantaisie et la satire et pas mal de levers de rideaux que l’on nous donne à Paris n’ont pas cette bonne humeur, cet entrain… ».
En juin 1914, est joué avec succès devant la Reine Alexandra « L’Hymne à la Tamise » sur des vers de notre poète, accompagnés d’une musique composée par Eugène Manescau.
En mars 1916, il lance une nouvelle revue : « l’Alliance hôtelière et culinaire ». Le Journal officiel de l’alimentation, dans son édition du 20 avril 1916 rapporte à propos de cette création « M. Th. Gringoire, qui dirigea avec tant d’autorité le Carnet d’Épicure […] vient de faire paraître le premier numéro d’une revue très intéressante […] M. Gringoire, qui est l’écrivain gastronomique le plus en vue de notre époque, est doublé d’un poète de talent. Très grand admirateur et amateur de la grande cuisine française, il paraît dans son nouvel organe vouloir combattre la cuisine cosmopolite qui nous a été si néfaste pendant ces dernières années d’avant guerre. »
En avril 1916, il achève son ultime poème « Le Gardien du Cygne » sous titré : « lettre de Saint-Evremond à sa Majesté George V ». Ce long poème est présenté au Roi par l’intermédiaire d’Aimé de Fleuriau, 1er secrétaire de l’ambassade de France à Londres. En retour, il recevra le 29 juillet, une lettre à l’entête de Buckingham Palace :
« Cher Monsieur de Fleuriau,
Je suis chargé par Lord Stamfordham de vous remercier pour les deux exemplaires d’un poème de M. Thomas Gringoire.
Je dois dire que les vers ont été déposés devant le roi qui s’est montré très intéressé par eux. »
Cette heureuse reconnaissance royale arrive peu avant qu’une crise d’apoplexie foudroie, le 31 août 1916, notre poète seulement âgé de 48 ans en sa demeure de Lewisham dans la banlieue de Londres.
The Scotsman, dans son édition du lendemain, écrira : « M. Thomas Gringoire, le poète et épicurien, avait vécu en Angleterre pendant quelques années et était peut-être le seul Français qui, à cette époque, écrivait des vers sur des thèmes anglais. M. Gringoire était l’une des plus grandes autorités en matière de cuisine. »
Sa mort est annoncée dans le Petit Parisien du 2 septembre 1916, journal pour lequel il avait travaillé. Enfin, La Revue, dans son édition du 1er novembre 1916, rapporte son décès par ces mots : « Nous apprenons avec regret la mort subite, à Londres, du poète Thomas Gringoire qui donna à La Revue de belles pages très remarquées. Il vivait modestement et écrivait des poèmes d’une grande élévation de pensée, d’une rare pureté de formes. Son dernier poème : Le Gardien du Cygne, dédié au Roi d’Angleterre, avait été accepté par le souverain avec reconnaissance. Les lettrés regretteront cet esprit fin, ce noble cœur, cette intelligence supérieure, enlevé trop tôt à l’affection et à l’admiration de ses amis ».
Vincent PIOT
Les maladies et pandémies, ces ennemis invisibles représentent un défi à notre sens commun tout comme les fléaux épidémiques que l’humanité a dû (et devra) affronter. En ce sens nous ne différons guère de nos ancêtres face à ces épreuves. La grande différence, selon moi, demeure dans le rapport à la mort que nos sociétés ont rendu tabou, évacué voire nié.
Pendant des siècles, les principales causes de décès étaient les maladies infectieuses qui faisaient des coupes sombres dans les paroisses. La mort était fréquente et frappait à tout âge ; elle était une compagne familière. Le grand historien Philippe Aries parlait de «mort apprivoisée ». La mort était acceptée, sans drame excessif.
À Combourg comme ailleurs la coutume était d’enterrer les morts dans l’église ou son enclos en respectant comme nous le verrons la hiérarchie sociale des vivants. La paroisse ne fut pas épargnée par le complexe épidémique breton de la fin du XVIIIe siècle.
Je vous propose une étude en quatre volets de la paroisse au cours du XVIIIe siècle :
A. Combourg au 18e siècle : la démographie et ses malheurs
B. La question de l’hygiène : le régime sanitaire et la misère
C. Les inhumations
D. L’encadrement médical
E. Les pratiques inhumatoires
Par François Xavier BERTHIER
Combourg nous apparaît à l'ère moderne comme une "ville" siège de l’administration seigneuriale, commerçante (marché immémorial du lundi et de nombreuses foires), industrieuse (tanneries, confection de toiles), organisant et dominant la campagne qui l’entoure.
Cependant, à l’écart des grandes voies, la cité connaissait quelques problèmes de débouchés pour ses produits. En 1636, précédant de quelques années Madame de Sévigné, le grand voyageur François-Nicolas du Buisson-Aubenay, de passage à Combourg, note que “…c’est une très grande paroisse qui a plus de deux lieues de diamètre et bien sept à huit lieues de circuit… ”.
Au XVIIIe siècle, Combourg était une petite cité sur la route menant de Rennes à Dol, à sept lieues de Saint-Malo, à un petit peu plus de Rennes et enfin à deux lieues de Hédé, sa subdélégation. La paroisse était incluse dans le doyenné de Bécherel à l’intérieur de l’archidiaconé de Dinan, le tout intégré dans le diocèse de Saint-Malo.
- Selon les contemporains:
Si l’on en croit le géographe Ogée, Combourg aurait compté 6000 communiants en 1778. Les archives du diocèse de Saint-Malo indiquent que la paroisse comprend 5000 communiants. Des rapports sur l’épidémie de 1773 livrent une fourchette de 4000 à 5000 communiants et lors de l’épisode dysentérique de la fin 1783 et début 1784, le chirurgien Lefort (fils) indique une population de 4500 âmes.
Quant au minimum de 7000 habitants invoqué par le recteur Sévin dans un courrier destiné à l’intendant daté du 12 mai 1782, il était sans doute destiné à émouvoir les autorités sur la situation d’une paroisse qui requérait, il est vrai, d’amples secours.
- Selon les estimations actuelles:
L’approximation étant la règle, on peut recourir à d’autres procédés d’évaluation à partir du nombre de feux ou de naissances enregistrées. L’estimation peut s’obtenir par le biais d’un coefficient multiplicateur. Ainsi Combourg aurait compté 199 feux vers 1400, soit selon la méthode de Jean Pierre Leguay, environ entre 800 et 1000 habitants.
Pour la fin du XVIIe et le XVIIIe siècle, Claude Nières présente les chiffres suivants :
Année | Nombre d'habitants |
1667 | 4000 |
1696 | 3501 |
1770 | 6000 |
1774 | 4000 |
1790 | 4316 |
Lors d’un précédent travail sur la démographie combourgeoise nous avons pu avancer que la population aurait oscillé entre 4 000 et 6 000 habitants, faisant de Combourg non seulement la paroisse la plus étendue de la subdélégation de Hédé, mais aussi la plus peuplée. Le chiffre de 6000 communiants avancés par le dictionnaire d’Ogée pour 1778 nous paraît nettement excessif.
D’après des estimations suggérées par les registres paroissiaux, environ un quart des habitants voire plus vivaient dans la ville et ses abords (soit 1 000 à 1 600 individus selon les époques et les coefficients de détermination de la population utilisés), tandis que le reste de la population était disséminé dans les nombreux villages de la paroisse. Au début du XIXe siècle, Combourg était qualifié de « gros bourg de 4000 habitants dont 2000 y résident ».
Le nombre maximum de combourgeois est sans doute atteint lors de la décennie 1730-1739, soit une fourchette de 5 500 à 6600 habitants.
Par contre la décennie suivante marque la cassure démographique qui fera que Combourg aura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle un niveau de population très en deçà de ce qu’il était au début de la période.
Les causes de cette brisure sont imputables aux épidémies qui ravagèrent la province de Bretagne au XVIIIe siècle et dont la paroisse fut particulièrement sujette.
Le « clocher » de mortalité en demeure l’expression graphique.
Ces crises se manifestaient régulièrement sur de longues périodes comme de 1707 à 1709 et celle de 1719 à 1723 qui vit cinq années de suite la paroisse déficitaire. De durée moindre ces épisodes devinrent plus prononcés voire extrêmement violents en 1741 et 1760 années les plus meurtrières à Combourg.
Ainsi la crise la plus violente à Combourg eut lieu en 1741. L’épidémie commença au mois de juillet aux environs de Vitré. A Hédé, le subdélégué mande que sur les 27 paroisses qui composent son département, il n’y en a pas une qui n’ait été affligée de la dysenterie et que ces maladies ont commencé à se faire sentir sur la fin de juillet dans les paroisses de Combourg, La Chapelle Chaussée et Tinténiac.
Les paroisses de Cuguen et Bazouges la Pérouse dans la subdélégation d’Antrain sont attaquées par le mal à la mi-août (400 morts à Bazouges du 15 août au 15 septembre, 160 à Cuguen du 10 août à la Toussaint).
Début novembre 1741, on estime le nombre de morts à 2500 dans la subdélégation de Hédé. Le subdélégué précise : « …il en est mort beaucoup plus sous l’âge de quinze ans qu’au dessus… ».
C’est effectivement en août que le nombre de sépultures augmente brusquement pour atteindre le paroxysme en septembre :
Mois | Nombre de décès | Moyenne menuslle des decès de 1740 à 1749 |
Août | 112 | 22 |
Septembre | 247 | 39 |
Octobre | 68 | 21 |
Novembre | 45 | 19 |
Le nombre de sépultures est de deux (novembre) à six fois (septembre) plus élevé que la moyenne décennale des décès enregistrés à Combourg.
Pendant les quatre mois que durent la crise, 70,55% des décès de l’année sont consignés. On comptabilise 669 inhumations pour 1741 alors que la moyenne annuelle pour la décennie 1740-1749 est de 232 sépultures…
L’observation du subdélégué de Hédé était exacte : les plus jeunes sont les plus touchés : les enfants de 0 à 9 ans représentent 210 des 472 sépultures d’août à novembre 1741 (soit 44.5 % des décès) tandis que les 10-19 ans composent 22.6 % de la part des décès. Trois quarts des victimes avaient moins de vingt ans…
Cette accablante ponction des effectifs de la jeunesse et le caractère récurrent des crises ont obéré lourdement la démographie combourgeoise : . ainsi 1760 fut la plus grave crise du siècle après 1741 : 568 décès pour 199 naissances soit un déficit de 369.
La paroisse la plus touchée fut Dingé : sur 800 communiants, 600 sont morts et ceux qui s’en sont sortis sont restés longtemps invalides.
Ces paroisses sont de nouveaux atteintes en 1773 : Du 1er janvier au 9 octobre deux cents personnes meurent à Combourg et début octobre 300 à 400 sont malades. A Dingé règnent en même temps la petite vérole et la dysenterie qui font perdre ¼ de la population de cette paroisse .
Sur 90 années étudiées au XVIIIe siècle, 34 sont déficitaires. A la fin du XVIIIe siècle ces années correspondent aux grandes épidémies de dysenterie et de typhoïde (connue en Bretagne sous le nom de maladie de Brest) qui ont frappé la Bretagne mais aussi à un arrière-plan de misère structurelle et de sous-alimentation endémique.
Chaque paroisse bretonne présentait trois foyers d’infection: les chemins vicinaux, le cimetière et l’église.
Il existait un facteur tout aussi redoutable : la misère. Sans compter des pratiques locales totalement aberrantes au regard des règles minimales d’hygiène.
Combourg n’échappa pas à la règle en la matière…
Les rares descriptions de la ville au XVIIIe siècle ne sont guère reluisantes. La plus fameuses demeure celle de l'agronome anglais Arthur Young qui relatait ainsi son passage dans le pays de Combourg, en septembre 1788 : «Le premier septembre Combourg. Le pays a un aspect sauvage ; la culture n'est pas beaucoup plus avancée que chez les Hurons, ce qui paraît incroyable au milieu de terrains si bons. Les gens sont presque aussi sauvages que leur pays, et leur ville de Combourg est une des plus ignoblement sale que l'on puisse voir. Des murs de boue, pas de carreaux, et un si mauvais pavé que c’est plutôt un obstacle aux passants qu'un secours. Il y a cependant un château, et qui est habité. Quel est donc ce Monsieur de Chateaubriand, le propriétaire, dont les nerfs s'arrangent d'un séjour au milieu de tant de misère et de saleté ? Au-dessous de ce hideux tas d'ordures se trouve un beau lac entouré de haies bien boisées ».
Même François-René pourtant si âpre à défendre la retraite de son père n'en qualifiait pas moins « d'abominable » la grande rue de Combourg.
Il est vrai que l'état sanitaire de la ville était assez alarmant, et la majorité des rapports administratifs soulignait la fréquence des épidémies affectant la paroisse et ville de Combourg. Un rapport collectif de René de La Touche, maître en chirurgie à Combourg et René Chevetel, médecin à Bazouges, rapport daté du 7 novembre 1773 signalait l'existence entre chaque maison d'une « ruelle destinée à en recevoir les immondices ; il ne peut s'exhaler de pareilles matières si susceptibles de putréfaction que des particules propres à altérer la salubrité de l'air » ; ce à quoi est ajouté : «la malpropreté des rues peu fréquentées pourrait y contribuer également».
Les espaces décrits entre chaque maison dans le rapport de 1773 étaient en fait des intervalles coupe feu dans lesquels les dépôts d'immondices étaient facteurs de maladies. On voit ici qu'à Combourg il n'y a pas eu une politique en vue d'une amélioration de l'hygiène, puisque Young constate un état déplorable à la veille de la Révolution.
Le Seigneur et les riverains n'entretenaient pas régulièrement le pavé des rues ; pourtant un arrêt du Parlement du 19 janvier 1739 ordonnait la réparation depuis la croix de la Bannière jusqu'au cimetière nouveau et ceci aux frais des riverains... Cinq années avant le passage d’Arthur Young, une lettre de 1784 adressée à l’Intendance indiquait qu’ « il est certainement très rare de trouver un pays dans lequel les pavés sont en plus mauvais état que ceux de Combourg. La négligence outrée de l’habitant en est le seul auteur… ».
Une des meilleures solutions pour essayer d'améliorer l'état sanitaire de la ville était bien entendu la réfection totale du pavage de la traversée de Combourg ; « un mauvais pavage n’est pas seulement gênant pour les passants crottant leurs chaussures et leurs bas, mais beaucoup plus pour la circulation des voitures et surtout des charrettes et des chariots transportant des marchandises» écrit l’historien Claude Nières. Ajoutons que le mauvais état des pavés favorise la stagnation des eaux formant ainsi des cloaques immondes, autre foyer de pestilences...
En 1784, l'Intendance enjoignit la réfection des pavés: ceux-ci, à partir de la boutique de Marguerite Morvan devaient être refaits à neuf, à plat, en pente douce, avec leurs ruisseaux au milieu de la voie pour l'évacuation courante «et ceci jusqu'à l'église paroissiale. Qu'il sera également fait de petits ruisseaux à prendre des venelles desdites maisons à aller aboutir audit ruisseau du milieu desdits pavés pour l'évacuation desdites venelles comme ils étaient anciennement faits».
Les mêmes dispositions devaient être prises depuis le cimetière de l'église jusqu'au cimetière nouveau ainsi que pour la rue de l'Abbaye « vu que ces pavés ont été fort mal travaillés et mal rechargés de très peu de pierres, ce qui les rend impraticables pendant l'hiver». Du prieuré jusqu'aux villages de Rouyon et des Cours-Viards « les pavés seront rechargés de pierres et caillotages vu le peu de solidité des ouvrages ».
Malgré toutes ces injonctions et un délai de trois années à compter du 1er mars 1784, l'ingénieur des Ponts et Chaussées marquera en 1788 que la traversée du bourg était des plus pressées à refaire en pavés, ce que notera également le voyageur-agronome Arthur Young la même année. Ni le seigneur de Combourg, ni les habitants ne voulurent (ou ne purent ?) faire l'effort de doter la ville d'un pavage correct, laissant au XIXe siècle leurs successeurs assumer cette lourde tâche qui sera consentie comme un lourd sacrifice. S'il était difficile d'aboutir à Combourg au XVIIIe siècle, il en était tout autant ardu de traverser la ville...
En 1790 le maire de la ville souligne toutefois une certaine amélioration sur l’état des rues : «Aujourd’hui on fait la police exactement, nos pavés sont bien balayés, on y voit plus comme autrefois de grands monceaux de boue, on y marche proprement».
Cette description de la ville trouve un étrange écho au début du XXe siècle : jusque vers 1907, Combourg connut quelques épisodes épidémiques (typhoïde, rougeole). En 1904, dans le quotidien Ouest-Éclair (18 décembre 1904) , une lettre anonyme d’un administré fustigeait le maire de l’époque, Valentin Cutté, accusé de préférer dilapider les subsides municipaux dans la construction d’une nouvelle mairie que de s’occuper de la malpropreté de la ville, source du fléau épidémique… Et notre auteur de citer « …les ruisseaux à ciel ouvert engorgés par un tas de détritus ne [pouvant] évacuer leur trop plein. Les caniveaux le long des trottoirs [gardant] précieusement tout ce qu’on leur confie. ».
Il faudra attendre 1938, sous l’égide du maire Émile Bohuon, pour que la cité de Combourg se dote d'un réseau d'égout et d'adduction d'eau moderne. Restait à équiper les nombreux hameaux de la paroisse.
A l’image de la société rurale bretonne, celle de Combourg est profondément marquée par la pauvreté, la misère. Clergé et fonctionnaires s'accordent à proclamer que dans la subdélégation de Hédé, Combourg est la plus importante en étendue et en population, mais aussi une des plus pauvres.
Selon Georges Collas, auteur d’un ouvrage sur René-Auguste de Chateaubriand, seigneur de Combourg depuis 1761, « les pauvres ne se comptent pas». Nous possédons cependant un chiffre pour l'année 1696 qui fait état de 490 pauvres dans la paroisse pour 3501 habitants. Des informations chiffrées sont également disponibles à travers les lettres envoyées au subdélégué lors des crises épidémiques. En 1774, René de La Touche, maître en chirurgie, indique avoir traité entre le 4 novembre 1773 et le 25 mars 1774, 533 «pauvres malades de la paroisse de Combourg». En 1774 il est fait état que dans la subdélégation de Hédé, 918 pauvres furent atteints de maladie et 670 étaient Combourgeois ; également en 1784 ils étaient 811 dans la même paroisse.
Tous ces gens vivent dans des conditions précaires et représentent selon certaines études universitaires au minimum ¼ de la population… Aux ménages pauvres s’ajoutent ceux dont la mauvaise conjoncture faisait basculer le sort et grossir le flot des nécessiteux: épisodes épidémiques (dysenterie, typhoïde) et climatiques. Les années froides, trop pluvieuses, trop sèches et les orages violents obèrent les récoltes et donc le régime alimentaire.
Ce sont ces individus qui à la lueur des inventaires après décès ne possèdent pas d’animaux qui permettraient de les nourrir comme une vache, qui n’ont pas de réserves alimentaires et un mobilier vétuste voire très dégradé. À Combourg ceux-ci bénéficient de l’aumône aux pauvres versée par la paroisse (dont le prieuré de la Saint-Trinité sis rue de l'Abbaye contribuait à hauteur de 150 livres par an,) des legs effectués par les défunts mais bien souvent les sommes ne suffisent pas à subvenir aux besoins des plus nécessiteux, surtout à la fin du siècle.
La nourriture est médiocre et trop souvent insuffisante : galettes ou bouillies de sarrazin, ou pain de seigle, ou gruau d'avoine, parfois châtaignes, et partout beurre et cidre. La consommation de viande demeure tout à fait exceptionnelle. L'insuffisance d'eau potable est également dénoncée : elle est même considérée comme impropre à faire du pain blanc à Combourg selon un rapport ! Ce qui explique que de tous temps des marchands faisaient venir du pain blanc de Dol ou de Hédé pour le vendre en détail à Combourg. Par ailleurs, partout, puits, fontaines et rivières sont continuellement polluées par la proximité de fumiers, de boues stagnantes, de dépôts de bêtes mortes... Les habitations sont trop souvent sombres, malpropres et insalubres. Les personnes saines et les malades dorment dans le même lit. Les occupants y vivent dans des conditions d'hygiène déplorables. La maison est souvent réduite à une pièce où vit toute la famille. Beaucoup de paysans, notamment les journaliers, manquent du minimum de vêtements et vivent dans le plus complet dénuement.
En dehors des épidémies, des événements climatiques peuvent précipiter les populations dans un état de fragilité, d’insécurité alimentaire voire l’empirer. Étonnamment la revue « Le Mercure de France » se fait l’écho deux événements climatiques survenu dans la paroisse les 5 et 6 juillet 1780 :
« Le 5 de ce mois , écrit-on de Combourg , Évêché de Saint-Malo en Bretagne, entre les deux & trois heures de l'après midi, le temps s'obscurcit depuis le nord jusqu'au sud, les nuages étaient si épais & si noirs que l'on n'y voyait presque pas ; il s'éleva un orage mêlé d'éclairs & de grêle dont les grains les uns pointus , les autres hérissés, étaient de la grosseur d'un œuf de pigeon; les coups de tonnerre redoublés qui se faisaient entendre de toutes parts, jetèrent la consternation parmi les Habitants de la campagne; ils croyaient que tout allait s’abîmer. Heureusement vers les 4 heures, cet affreux orage se dissipa. Les seigles, les lins & les chanvres ainsi que les légumes des jardins ont été hachés par la grêle & ne laissent nul espoir ; tous les bleds font couchés & renversés, & les pommiers qui promettaient beaucoup ont étés dépouillés de leurs fruits, ainsi que tous les petits arbres fruitiers des jardins ; les vitres des fenêtres du Château de Combourg & des maisons de la partie d'où venait l'orage ont été brisées , enfin il a causé dans les campagnes & les environs d'ici une perte considérable». Un orage de même intensité touche la paroisse le lendemain, détruisant ce qui pouvait encore l’être… (source : https://books.google.fr/books?id=bGxBAAAAcAAJ&pg=RA2-PA40... )
Semences des champs, les fruits et légumes des jardins ainsi que les lins et chanvres détruits : l’horizon des plus fragiles s’assombrit car à la crise alimentaire s’ajoute l’impossibilité d’un complément de revenu lié à la vente des fils de lin et chanvre. De quoi jeter dans la gêne des familles entières, des domestiques que le maître ne peut plus payer ni nourrir et fragiliser encore plus les familles les plus humbles …
Le cycle des malheurs s’enclenche : une mauvaise alimentation tant en quantité qu’en qualité , des organismes affaiblis par les épidémies précédentes, une récolte insuffisante liée aux conditions climatiques, l’impossibilité pour des hommes et des femmes malades de travailler la terre, de travailler … tout court et donc d’acheter le strict nécessaire et par conséquent de se soigner... et ce d'autant plus que, selon Yardin, contrôleur des actes dans la cité,« les chirurgiens d'ici se font payer plus cher qu'ils ne le pourrait faire dans les villes les plus considérables de la province et mettent par là le comble à la désolation» (octobre 1773). D'où leur impopularité dans les campagnes et la défiance qu'ils inspirent quand on connait leurs procédés thérapeutiques : saignées, lavements, purgatifs et vomitifs ...On constate d’ailleurs une légère surmortalité lors de ces deux orages de l'année 1780.
Secours en argent , médicaments, nourriture et semences
Les dégâts sont quelquefois si considérables que des secours sont proposés aux paroisses touchées notamment des secours en argent L’on ne sait si Combourg a bénéficié d’aide en 1780 mais il est certain que l’orage du 16 juin 1786 a nécessité l’octroi d’une somme de 400 livres pour Combourg par l’intendance de Bretagne. Encore que la paroisse n’était pas la plus à plaindre car celle de Dingé se fait octroyer 1000 livres car « tous les bleds, froments, orges, paumelles, avoinnes, bleds noirs, chanvres, fruits et légumes ont été abimés». Les particuliers devaient estimer le montant de leurs pertes et étaient indemnisés à hauteur de 1/12 du montant…
Sous l'Ancien Régime, le véritable moteur de toute l'action administrative est l'intendant, représentant du pouvoir royal, sorte d’ancêtre du préfet. La procédure appliquée en cas d'épidémie est la suivante : alertés par les médecins locaux, les recteurs des paroisses préviennent les subdélégués de l'apparition d'une maladie contagieuse.
Ceux ci nomment alors un ou des médecins délégués sur place qui disposent de deux jours pour transmettre leur rapport de diagnostic à l'intendant qui saisit soit un collège de médecins à Rennes, soit, si la maladie est inconnue, la Société Royale de Médecine, créée en 1776 et siégeant à Versailles.
Les médicaments prescrits sont préparés par des apothicaires puis livrés aux recteurs des paroisses qui, aidés de personnes pieuses, les administrent. L'intendant ou le subdélégué concerné traitait avec les boulangers et bouchers pour obtenir la livraison de vivres en plus des remèdes. Pain et viandes sont fournis afin de subvenir à la détresse des Combourgeois affligés. En 1773 les rations sont par malade au maximum d’une demi-livre de pain et autant de viande par jour. En 1774 sur les 5327 livres de viande fournies dans la subdélégation de Hédé, Combourg en reçoit 4038 et sur 6506 livres de pain elle en perçoit 4814. A cette date on s'inquiète à Paris de l'ampleur des secours accordés pour Combourg… Une fois l'épidémie enrayée, le subdélégué adresse un rapport détaillé à l'intendant afin d'obtenir le remboursement des fournisseurs.
Ancienne gravure de la chaussée et du château vers 1820
Le recteur de la paroisse joue également un rôle important. Il est au plus proche de ses paroissiens, alerte le subdélégué de Hédé, les seigneurs qui, lorsqu’ils n’abandonnent pas les lieux, bien souvent offrent quelques secours mais qui paraissent des oboles au regard de besoins. On le sait, jusqu’à l’achat de la seigneurie de Combourg en 1761 par le père de François-René de Chateaubriand, les seigneurs du Comté résidaient peu ou pas en leur château. René Auguste de Chateaubriand versait en 1775 12 livres par semaine selon le recteur Jollive…
En juin 1786, lors d’une épidémie, le recteur Sévin effectue neuf jours de marche dans la paroisse et dresse son bilan : au moins 160 familles (soit selon lui 600 personnes) n’ayant ni pain, ni blés, ni argent, ni bestiaux et des terres à ensemencer en blé noir. Sans compter celles qui ne labourent pas et demandent du pain … Selon lui ¼ « au moins » des ménages sont pauvres… Fin juin l’intendant octroie 200 livres pour les pauvres qui s’ajoutent au 400 livres déjà versées par le général de la paroisse…
Dans ce contexte, de quelle assistance médicale, pouvait bénéficier les combourgeois affligés de maux divers et plus encore de maladies endémiques en ce XVIIIe siècle ?
Aux rues et aux ruelles laissées à l'état de dépotoir s'ajoute la pratique des inhumations dans le cimetière autour de l’église. “Labouré ”par les ouvertures pratiquées quotidiennement lors des épidémies; les murs pratiquement tombés en 1773 et toujours dans en piteux état en l’An III (1795), ce lieu d’inhumation était un champ des morts ouvert à tous les passages, exhalant des miasmes et se révélant d’autant plus dangereux que rien n’empêchait les parents d’aller prier sur les tombes de leurs proches… L’on ne sait si la taille du cimetière de Combourg était proportionnée au chiffre de la population. L’absence de clôture permettait également aux divers animaux de pénétrer le lieu, d’y brouter l’herbe, soit autant de vecteurs de maladies …
Le 20 juillet 1790 est décidée la démolition du reliquaire du cimetière qui menace ruine et dont la chute prochaine pourrait causer des accidents; en l’an III on constate que “…le reliquaire est entièrement détruit, il ne reste que quelques pierres… ”. Déjà en 1781, l’évêque demande à ce qu’on répare les barreaux qui manquent et que le reliquaire soit exactement fermé. On est loin, du moins à cette époque de maladies endémiques en Bretagne de la “perspective riante” évoquée par Chateaubriand dans le Génie du Christianisme à propos de la sépulture des Anciens dans “nos cimetières de campagne ”.
Pire encore de par leur ampleur furent les inhumations dans l'église : entre 1700 et 1759, sur 12070 décès enregistrés, 2324 font l’objet d’une inhumation dans le sanctuaire, soit 20% du total avec une pointe à 30% en 1749. Le chœur était réservé pour la sépulture des ecclésiastiques, des seigneurs hauts-justiciers, des patrons, fondateurs ou bienfaiteurs de l’église. Sur les côtés les gentilshommes de distinction et les riches bourgeois possédaient des chapelles privatives avec des caveaux où reposaient les membres de leur famille. Les fabriques avaient intérêt à ces inhumations dans le temple car les droits étaient plus élevés qu’une inhumation au cimetière dont une zone était gratuite.
En 1741, année d’une terrible dysenterie, la plus meurtrière du siècle à Combourg (669 décès enregistré pour une moyenne décennale de 232), 81 personnes sont inhumées à l’église. Considérant que la pratique datait de fort longtemps, l’édifice faisait surtout office de charnier… A chaque inhumation on devait mettre à jour les cercueils et autres squelettes des funérailles précédentes, sans compter les exhalaisons et autres méfaits de la décomposition des corps que devait avec peine recouvrir le parfum de l’encens. Et pourtant on continuait à baptiser les nouveau-nés dans ces conditions…
Foyer liturgique, l’église était aussi un foyer infectieux reconnu par l’arrêt du Parlement de Bretagne du 16 août 1719 interdisant les sépultures dans les églises rennaises et celles de la province. Il faut attendre les remontrances de 1758 pour que les mesures soient suivies d’effet à Combourg : en 1758, 21% des défunts (40 individus) élisent sépulture à l’église, en 1759, le pourcentage tombe à 12 % (29 individus). A compter de cette date une quinzaine de défunts seront inhumés dans l’église jusqu’en 1789 : des nobles. A Bécherel, siège de l’archidiaconé dont fait partie Combourg, l’usage cessa presque totalement à la même date. En ce qui concerne les inhumations, nous avons déjà signalé que celles-ci avaient lieu concurremment au cimetière de l'église au cimetière dit « nouveau » à partir de la crise de 1760.
En 1779 des pratiques furent définitivement prohibées, comme l'habitude des habitants de Combourg de «porter sur leur dos leurs parents morts jusqu'à l'église et le cimetière». Cette interdiction à peine de prison était assortie de l’obligation de creuser des fosses d’au moins quatre pieds, de suite et par rangs, sur les mêmes lignes et de proche en proche à la distance de trois pieds les unes des autres. Il semble que celle ci ne fut point respectée car jusqu’en 1784 le cimetière de l’église conserva ses cantons auxquels étaient assignées des places à 3 livres, deux livres 10 sols, 30 sols et 25 sols. Les pauvres quant à eux étaient inhumés “gratis ”dans une zone qui leur était dévolue. Ces différents droits sur les inhumations étaient en théorie affectés aux réparations de l’église…
Aux effets néfastes de la décomposition des corps, aux vapeurs cadavéreuses, il fallait ajouter d’autres tout aussi redoutables en matière d’hygiène : ainsi le 17 juillet 1764 l’évêque en visite défend “… de mettre rien d’indécent dans la chapelle qui fait une aile de l’église du côté de l’épître et dont il nous a paru qu’on s’en servait comme d’une espèce de décharge …” La communion elle-même devint facteur de péril: en 1752, la personne chargée de la confection des pains pour la communion fut mise en cause et risque la révocation “… si elle, ne les fait pas à l’avenir plus propres et plus convenables que par le passé… ”.
En matière épidémique, aux chemins et rues sales, aux cimetières et églises débordants de cadavres il faut ajouter un facteur tout aussi redoutable : la misère.
À Combourg, comme ailleurs en Bretagne la fin du XVIIIème siècle, se déploie un contexte épidémique particulièrement marqué ayant pour causes diverses et souvent cumulatives une hygiène défaillante, la misère, la sous alimentation chronique et des épisodes climatiques quelquefois catastrophiques. Afin de limiter ces coupes sombres dans les populations, l’État par le biais de l’intendance de Bretagne avec comme relais les subdélégués et les recteurs de paroisses tente de venir en aide aux paroisses sinistrées. La médecine faisait partie intégrante de ce dispositif. De quel encadrement médical pouvaient bénéficier les combourgeois ?
Précisons d’emblée que Combourg ne possède pas au XVIIIe siècle d’institution hospitalière digne de ce nom.
Au bas du château, l’ancienne place de l’Hôpital était en fait le lieu de croisement des routes de Rennes et de Dinan. Son nom est lié à la présence sur les bords de l’étang de l’hôpital de Saint-Sébastien et de sa chapelle. En fait, jusqu’au XVIIIe siècle il y a à Combourg deux maisons hospitalières : celle qui vient d’être évoquée et la maladrerie ou léproserie de la Magdelaine, la plus ancienne des deux et qui était également pourvue d’une chapelle. Celle-ci a été fondée au Moyen Age a environ 1 /4 de lieue de la ville, sur la route de Rennes, passant par Hédé. Il y avait à l’origine un chapelain, présenté par le baron de Combourg, qui était chargé d’administrer la maison et desservir la chapelle. Puis lorsqu’au XVIe siècle la lèpre a disparu de la contrée, les seigneurs de Combourg créent un hôpital plus proche de la cité, celui de Saint-Sébastien. A partir du XVIIe siècle, un seul et même chapelain dessert les chapelles de la Magdelaine, de Saint-Sébastien ainsi que celle du château et est présenté à l’évêque de Saint-Malo par le seigneur de Combourg.
Ce n’est au XVIIIe siècle « qu’une maison où logeaient les pauvres passants, sans aucun fonds ; encore le seigneur de Combourg pouvait-il la reprendre» selon Guillotin de Corson. Une chapelle et un logement pour le chapelain complètent l’établissement. Les registres paroissiaux de Combourg permettent effectivement de vérifier cette thèse : c’est par exemple ce jeune garçon de 20 ans, décédé en 1704 à « l’hôpital de cette ville » se disant de Domfront, qui portait une petite malle dans laquelle il y avait «des images, des couteaux et autres marchandises» ou encore en 1709 le décès à l’hôpital de Combourg d’un « vieux soldat manchot âgé d’environ 70 ans dont le nom et l’origine était inconnue ». En 1719 un mendiant, Jean Haslé natif de Cuguen décède à l’hôpital âgé d’environ 20 ans. Si l’on se réfère aux registres paroissiaux une dizaine de personnes seraient décédées au cours du siècle dans cet hôpital.
L’état des bâtiments n’était guère reluisant : dès 1705, la chapelle de Saint-Sébastien menace ruine et fait l’objet d’une restauration car en 1748 elle est jugée en bon état à l’exception de quelques lambris à côté de l’autel. En 1764 elle nécessite des travaux de couverture. Elle est rebâtie puis bénite le 10 juin de l’an 1789 après avoir été « décemment réparée et fournie de tout ce qui convient pour la célébration des Saints Mystères ». Selon Paul de la Bigne, elle n’avait aucun caractère architectural, « en 1896, dans des fouilles qui furent pratiquées à son emplacement, on découvrit plus d’une dizaine de crânes humains dont les restes étaient massés dans la chapelle qui fut détruite, cette année là, pour bâtir une maison qui l’a remplacée ».
Ancienne photographies vers 1860 où l’on voit à la droite de la place l’emplacement des bâtiments de l’hôpital et de la chapelle, avant la construction du futur Hôtel du Lac
Dans un courrier adressé à l’Intendance de Bretagne le 8 mars 1720, le sénéchal de Combourg n’estime pas nécessaire l’établissement d’un hôpital car « il n’y passe point ou fort peu de mendiants parce que ce n’est aucun passage, ni qui conduise en aucun lieu considérable, n’étant pas fort éloigné de la mer ». Il invoque également la difficulté de « trouver un lieu convenable pour cet effet ni personnes propres a régir… ».
Médecins, chirurgiens et sage femmes constituent le personnel médical de la paroisse. Encore que le pluriel de médecins soit exagéré pour Combourg car un seul praticien doté de ce titre exerce sans concurrence à Combourg à cette époque. Les chirurgiens sont quant à eux plus nombreux.
Seuls deux médecins ont exercés à Combourg dans le dernier tiers du XVIIIe siècle : noble homme Gaspard Gabriel Boullault, sieur de la Rousselais (mort le 17 mars 1774) et Pierre Fournet, « médecin privilégié du Roi » qui apparaît dans les sources dans les années quatre vingt. Gaspard Gabriel Boullault était issu d’une famille très influente à Combourg, fils d’un avocat au Parlement, il se marie en 1756 avec Angélique Chantrel elle même fille d’un avocat au Parlement. Nous savons peu de choses sur Pierre Fournet si ce n’est qu’il était originaire de Notre dame de Commiers (diocèse de Grenoble/ né le 28 février 1744)) et qu’il épouse à Combourg une sage femme, Marie Janvier, le 20 mars 1781.
Les chirurgiens étaient des praticiens qui avaient pour la plupart suivi des études de médecine, mais n’avaient pas accédé au grade de docteur. Ils sont dénommés « Maître chirurgien », « Maître en chirurgie », « chirurgien juré royal ». Ceux-ci ne peuvent être comparés aux médecins pour les connaissances médicales. « Ils ont pour spécialité les opérations chirurgicales, la guérison des fractures, des luxations et des tumeurs qui se produisent à la surface du corps humain ». Ils excellent dans la saignée qu’ils exécutent à tout propos y compris pour soigner la dysenterie… pratiquent les autopsies, les accouchements et parfois épousent une matrone ou sage-femme à qui ils enseignent leur art.
Trois ou quatre chirurgiens exercent concomitamment ce qui indique une densité médicale plutôt au-dessus de la moyenne : 2,2 médecins et Maîtres en chirurgie pour 10 000 habitants en Bretagne en 1786 selon l’historien Jean-Pierre Goubert. Pratiquent en 1702 quatre chirurgiens tout comme en 1786 : ils se nomment Hermer, Perras, Lelavandier et Préciaux. À cette même date il y avait deux chirurgiens à Hédé et deux à Tinténiac (11 chirurgiens en tout pour la subdélégation de Hédé). Ajoutons la présence du médecin Pierre Fournet.
Noël Lelavandier, est ce chirurgien que Chateaubriand qualifiait de pharmacien. Il était né à Vieux-Viel le 27 janvier 1726 et s’était marié le 7 juillet 1761 à Dingé avec Jeanne Gauttrais. À son mariage assistent Gaspard Boullault, médecin et Alexandre Hermer sieur de Berranger, fils de chirurgien et notaire.
Atteint dans son enfance à Combourg par une fièvre tierce, voici ce qu’écrit François-René sur sa rencontre avec Lelavandier dans « Les mémoires d’Outre-Tombe ». Indiquons, comme nous le verrons plus loin que Lelavandier intervient après une tentative de soin exercée par ce qu’il faut bien appeler un charlatan :
« Ce monsieur Lavandier était le pharmacien du village, qu'on avait appelé au secours. Je ne savais, au milieu de mes douleurs, si je mourrais des drogues de cet homme ou des éclats de rire qu'il m'arrachait [ces propos concernent le charlatan]. On arrêta les effets de cette trop forte dose d'émétique, et je fus remis sur pied. »
C’est donc Noel Lelavandier qui tira d’affaire François-René en lui prescrivant autre chose que de l’émétique (on ne connaît pas l’antidote donné par celui-ci), ce qui accéléra la guérison.
Il est permis de s’interroger sur la qualité de ces thérapeutes car lors de l’épidémie de 1773, le contrôleur des actes, Yardin, demande que les remèdes soient distribués par un médecin savant : « Il en est un à Bazouges (La Pérouse) que l’on dit être habile, on le nomme Chevetel et est souvent appelé dans cette paroisse». François-René l’évoque dans les « Mémoires d’outre-tombe » : « Ma poitrine se gonfla, la fièvre me saisit ; on envoya chercher à Bazouges, petite ville éloignée de Combourg de cinq ou six lieues, un excellent médecin nommé Cheftel, dont le fils a joué un rôle dans l’affaire du marquis de La Rouërie. Il m’examina attentivement, ordonna des remèdes et déclara qu’il était surtout nécessaire de m’arracher à mon genre de vie ».
L’une des raisons de la forte mortalité, en dehors du fait de pouvoir se payer les soins, réside dans la défiance des malades envers la médecine. Selon le même Yardin un quart des individus meurent « faute de confiance dans la médecine » (épidémie de 1773). En 1783/1784 le chirurgien Lefort originaire de Sens (fils de chirurgien) évoque des patients « rebelles » aux traitements.
Cette appréhension se retrouve jusque dans les hautes sphères de la société locale en la personne du comte de Combourg … Citons ce passage savoureux des « Mémoires d’Outre Tombe » de François-René de Chateaubriand :
« Un marchand d'orviétan passa dans le village ; mon père, qui ne croyait point aux médecins, croyait aux charlatans : il envoya chercher l'empirique, qui déclara me guérir en vingt-quatre heures. Il revint le lendemain, habit vert galonné d'or, large tignasse poudrée, grandes manchettes de mousseline sale, faux brillants aux doigts, culotte de satin noir usé, bas de soie d'un blanc bleuâtre, et souliers avec des boucles énormes. Il ouvre mes rideaux, me tâte le pouls, me fait tirer la langue, baragouine avec un accent italien quelques mots sur la nécessité de me purger, et me donne à manger un petit morceau de caramel. Mon père approuvait l'affaire, car il prétendait que toute maladie venait d'indigestion, et que pour toute espèce de maux, il fallait purger son homme jusqu'au sang. Une demi-heure après avoir avalé le caramel, je fus pris de vomissements effroyables ; on avertit M. de Chateaubriand, qui voulait faire sauter le pauvre diable par la fenêtre de la tour ».
Cet extrait illustre une réalité : celle de la circulation en Bretagne de quantité de charlatans, une véritable « infestation » selon les termes de l’époque… Ils sévissent surtout dans les campagnes, les foires et les marchés. Il est possible que ce marchand d’orviétan n’ait été autre que le sieur Grassy « Maître » charlatan qui parcourt la province bretonne en 1786 à moins que ce ne fût le célèbre Algaron Toscano, tous deux charlatans de haut vol !
Évidemment les médecins et chirurgiens sont forts sollicités lors des épidémies fréquentes dans cette paroisse, d’autant que ceux ci doivent exercer leur art comme à l’accoutumée. Les visites dans une paroisse aussi étendues, les traitements à administrer infligent des fatigues qui rendent vulnérables les praticiens. Le chirurgien René Delatouche nommé en 1773 pour traiter les malades de la paroisse est lui même attaqué par la maladie. En 1789, le Maître-chirurgien Préciaux s’excuse d’avoir tardé à adresser son état lors de l’épidémie de mars, avril et mai de la même année : « Malgré l’étendue de cette paroisse où pendant l’épidémie j’ai été obligé de me porter aux différentes extrémités, j’ai fait trois accouchements dans la classe la plus indigente pour lesquels il m’a fallu passer les trois nuits. Ces différentes fatigues m’ont occasionné une maladie qui m’a retenue au lit pendant quelques temps, de laquelle j’ai beaucoup souffert, même de ma convalescence … ».
La famille Hermer représente un cas d’endogamie professionnelle assez intéressant. Elle est originaire de Saint-Léger-des-Bois dans le Maine et Loire. Guyon Hermer (dont on ignore la profession) et Jeanne Philippot se marient dans cette paroisse le 11 janvier 1651. Ils s’installent à Combourg cette même année et un fils, Jean, naît à Combourg le 19 octobre 1651. Il deviendra sieur de la Croix, Maître chirurgien inaugurant ainsi une dynastie : son fils, Pierre (1683-1751) devient lui aussi chirurgien. Trois des fils de ce dernier sur quatre deviennent à leur tour chirurgiens : Malo (1710-1790), Pierre François (1711-1769) et François (1724-1756).
Deux épousent des filles de chirurgiens :
- Pierre François épouse le 22 novembre 1740 Angélique Renée Tolle (1718-?), fille de Michel Tolle chirurgien à Romillé.
- François (1724-1756) épouse quant à lui Jeanne Olive Letourneur (1731-1790), fille d’Etienne chirurgien à Châteauneuf en 1751.
Alexandre, un des fils né en 1721 embrasse la profession de notaire.
Leur sœur Françoise Guillemette (1716-1786) convole en 1736 avec Guillaume Gaspard Delaunay (1709-1763), sieur de la Villebermont avocat au Parlement.
Les sages-femmes ou matrones peuvent à un certain degré être considérées comme des auxiliaires de santé mais comme l’indique le subdélégué de Dol en 1786 « plusieurs femmes prennent le titre de sage femme et sont appelées sans avoir jamais reçu aucun principe d’accouchement ; leur ignorance fait périr plusieurs femmes et enfants ». Ainsi Louise Jugan fait « fonction de sage femme » en 1784. Il y avait cependant des sage femmes qualifiées mais peut être pas assez nombreuses : c’était le cas d’Esther Tansé en 1748, de Michelle Joubault en 1777 ou encore de Marie Janvier, qui épousa le médecin Pierre Fournet le 20 mars 1781 à Combourg, toutes trois qualifiées de « sage femme jurée ».
Leur rôle était d’assister les parturientes mais aussi de signaler au clergé les enfants illégitimes : soit le père était inconnu, connu notoirement ou les femmes qui assistaient à l’accouchement arrachaient un nom à la parturiente. Elles baptisaient en cas d’urgence les enfants à la maison tout comme les médecins et chirurgiens d’ailleurs. Le nombre de matrones semble avoir été en moyenne de trois pour la paroisse.
Il est paradoxal de constater la gravité des crises épidémiques à Combourg alors que l’encadrement médical était assurément supérieur à la moyenne de la province bretonne. D’autres facteurs entraient en ligne de compte, notamment des facteurs psychologiques comme la défiance envers la médecine, ses traitements qui bien souvent hâtaient la fin des patients et des coûts prohibitifs pour une large partie de la population, même si les secours en temps d’épidémie étaient gratuits pour les pauvres.
Les effets combinés d’une hygiène défaillante, de la misère, d’une sous alimentation chronique et d’épisodes climatiques quelquefois catastrophiques provoquent au XVIIIe siècle à Combourg de plus ou moins graves épisodes épidémiques.
L’État contribue et vient, dans la mesure de ses capacités, en aide aux paroisses sinistrées. Mais, même le personnel médical relativement nombreux comparé à l’ensemble des paroisses rurales bretonnes, se trouve parfois très démuni tant en termes de savoir faire que dans l’approche de malades souvent défiants envers la médecine.
Aussi se posait de manière récurrente la question des inhumations. Comment palliait-on la brusque hausse des décès et quelles étaient les pratiques en cours à Combourg au XVIIIe siècle dans ce domaine.
Les inhumations ont lieu soit dans l’église paroissiale ou au cimetière qui l’entoure puis à la fin du XVIIIe siècle à l’extérieur de la cité.
Mais les registres paroissiaux nous permettent de constater l’existence d’au moins trois cimetières à Combourg au XVIIIe siècle: celui entourant l’église, le cimetière dit de Rignac et le cimetière nouveau. Ces deux derniers faisaient surtout office d’exutoires lors d’événements particuliers et surtout des crises épidémiques.
Signalons qu’il existe à cette époque à Combourg une deuxième église dotée d’un cimetière : celle du prieuré de la Sainte-Trinité fondé au XIe siècle. L’édifice, sis rue de l’Abbaye, ne conserve aujourd’hui qu’une portion réduite de sa grande nef et quelques éléments d’architecture romane. L’église renferme sous l’Ancien Régime de nombreuses sépultures, entre autres celles de quelques prieurs claustraux comme Dom Etienne Trochon inhumé en 1701 « sous les cloches » et seigneurs de la contrée comme les Trémaudan : en 1715 est inhumée Louise Éléonore de Lantivy « dans l’église du prieuré de Combourg sous la pierre tombale du milieu, devant l’autel Saint-Mathurin enfeu ordinaire et appartenant audit seigneur de Trémaudan ». Le cimetière du prieuré était voué à Saint-Martin et abritait les sépultures des moines d’ailleurs fort peu nombreux : 6 sont présents en 1641, y compris le prieur…
Il ne sert que pour quelques enterrements aux XVIIe et XVIIIe siècles. Rignac est le nom d’un village situé à environ deux kilomètres au nord-ouest de Combourg. Il est étonnant que les érudits qui ont étudié les registres paroissiaux de Combourg n’aient point évoqué le cimetière de Rignac (en particulier Guillotin de Corson et Paul de La Bigne). Après avoir envisagé un temps la présence d’un cimetière dans ce village, un bulletin paroissial de juin 1948 semble indiquer l’origine du nom de ce cimetière et sa localisation: “il y avait aussi le cimetière de Rignac (vis à vis la maison de M. Chauchix, à l’entrée de la nouvelle voie qui conduit à la route de Dol). On dit qu’il fut établi dans une épidémie, et qu’on lui donna le nom de cimetière de Rignac parce que le premier qui y fut inhumé était de ce village ”. Il semble qu’il était situé au Moûtier car ce cimetière est évoqué en 1678 dans l’acte de vente de la seigneurie de Limoellan qui détenait un four à ban dans ce quartier de la cité.
Le volume des inhumations dans ce cimetière est particulièrement faible au XVIIIe siècle: 34 individus en 24 ans ! On ne peut clairement établir quels critères voue telle ou telle personne à élire sépulture dans celui-ci sauf en cas de nécessité comme l’interdiction du cimetière de l’église en 1716. En effet celle-ci fait suite à “… l’effusion de sang y arrivée le 15 de septembre dernier par un coup de pierre donné malicieusement dans la tête de la nommée … (illisible) ”. Ainsi du 15 septembre 1716 au trois octobre de la même année, date de sa réconciliation, quatre inhumations ont lieu dans ce cimetière, les autres à l’intérieur de l’église. La dernière inhumation remonte au 28 juillet 1723.
Le cimetière nouveau, jusqu’en 1760, n’est pas explicitement désigné dans la rédaction des actes comme lieu inhumatoire mais comme zone de résidence (un quartier) dès le début du XVIIIe siècle.
La première mention du cimetière nouveau en tant que lieu d’enterrement régulier date du 25 août 1760, soit en pleine crise épidémique, la deuxième la plus grave après 1741. Georges Collas précise que cette même année le cimetière est trop petit “pour recevoir les morts qu’on enterre tant bien que mal dans un champ voisin ”. En fait le cimetière nouveau sert d’exutoire lors des épidémies qui frappent la paroisse et est de nouveau consacré à chaque occasion. Son utilisation continue n’est avalisée qu’en 1784 avec sa “re-bénédiction ”le 23 mai de ladite année “en relation de l’article 6 de l’arrêt du Parlement de Bretagne sacralement intimé à la paroisse de Combourg par l’arrêt du 15 du présent, en conséquence et dès ce jour et par la suite nous allons commencer à faire les inhumations dans ledit cimetière ”. Les raisons invoquées sont “…la multitude des morts, les limites trop étroites du cimetière régnant autour de l’église, les dangers palpables de corruption… ”.
L’arrêt du Parlement fait état de l’abandon de ce cimetière dont les clôtures devaient être réparées aux frais du général de Combourg tandis que le chemin qui y conduit “… par ceux qui doivent le faire à la diligence des juges de Combourg… ”. Cimetière délabré source de corruption et chemins impraticables et sales, nous retrouvons ici les éléments explicatif du mauvais régime sanitaire de la paroisse…
Les catégories de l’ancien cimetière ne pouvant être appliquées en celui-ci, une délibération de la paroisse de Combourg fixait à deux livres dix sols pour les adultes et une livre cinq sols pour les enfants le tarif des inhumations, les pauvres étant “inhumés gratis à la manière accoutumée ”. Désormais pratiquées à la périphérie de la ville les inhumations continuent néanmoins autour de l’église à la mauvaise saison, le cimetière nouveau étant difficilement accessible en hiver selon une décision prise par la municipalité le 11 janvier 1791.
Certaines années ¼ des cadavres sont inhumés dans l’église. Les chiffres paraissent ahurissants : 81 individus sont enterrés lors de la crise épidémique de 1741 ! (73 en 1721, 67 en 1723). De 1700 à 1759, 2324 dépouilles sont ensevelies dans l’église paroissiale, soit environ 20 % du total de la période. L’église est une véritable succursale du cimetière… avec les inconvénients en matière d’hygiène évoqués dans les volets précédents.
On peut raisonnablement écrire que le statut social et la volonté de reposer le plus près possible de Dieu déterminent la sépulture. D’emblée le critère financier doit être avancé : ce sont les nobles et la couche supérieure de la bourgeoise locale qui possèdent l’argent nécessaire à l’établissement de leur sépulture ou celle des leurs dans l’église. La hiérarchie terrestre trouve son pendant dans l’autre monde… et géographiquement dans l’édifice. Les places les plus convoitées se situent près du chœur, des autels et du crucifix (généralement entre la nef et le chœur), la chaire ou les fonts baptismaux, dans les chapelles latérales etc.…
Ainsi au gré du rédacteur des actes pouvons-nous déceler une volonté de reposer au plus près du chœur. Ce sont tout d’abord les seigneurs du lieu qui y élisent sépulture mais quelquefois seul un organe, en général le cœur, est présent. Ainsi on pouvait voir le cœur en plomb de Louis Hercule de Coëtquen, comte de Combourg, mort à Uzel en 1649 sans héritier. Répandue exclusivement dans le milieu des nobles possesseurs d’enfeus, la pratique de l’éviscération du cadavre en cas de décès au loin permettait une sépulture de l’organe dans l’enfeu familial.
En dehors des seigneurs du lieu, d’autres individus eurent accès à ses places convoitées : Jean François Xavier de Québriac inhumé entre le chœur et le sanctuaire ou Jean-Jacques Lecompte, sous diacre, inhumé le 20 octobre 1758 « en le chœur de cette église ». Les recteurs du lieu disposaient également d’un tombeau tout proche semble t’il devant l’autel du Rosaire (inhumation de Laurent Lefebvre, recteur de Combourg de 1664 à 1679). Les registres paroissiaux au gré du rédacteur rendent compte de ce soucis d’approcher au plus près d’un élément intercesseur : dans son testament de 1621, Guillaume d’Argentré sieur de la Guyhommeraye, la Bouexière, Chevrot souhaite être inhumé « sous l’une des pierres tombales dépendantes de la maison seigneuriale de Listré là où tous ancêtres dud. Lieu de Listré ont été au passé ensépulturés » .Marguerite Halna souhaite que « son corps soit présent dans l’église de cette ville et paroisse de Combourg à vis de l’hostel du Saint Esprit » ; Thérèse Boullault (58 ans) inhumée le 18 janvier 1773 « proche l’autel Sainte Anne » (également Marguerite Boullault le 1er juillet 1780), François Boullault enterré le 14 juin 1789 (32 ans) « sous une pierre tombale à la gauche de l’autel du Saint Esprit » ou encore Guillaume Eon « en son enfeu avis l’autel de la Vierge » (23 avril 1778-72 ans) .
Il faut également mentionner les chapelles de l’église dont celle de la Reinais, possession de la famille Boullault : sur 25 inhumations recensées pour le XVIIIème siècle (en fait jusqu’en 1759), vingt et une concernent des enfants de 10 ans et moins, deux des adultes de 63 et 79 ans et deux autres pour lesquelles nous n’avons pas indication d’âge.
À notre connaissance l’ancienne église renferme quatre chapelles: la chapelle de la Reinais dont le droit d’enfeu était possédé par la très puissante famille Boullault ; celle de la Bouteillerie, du nom des seigneurs de ce lieu ; la chapelle Saint Jean accueille les dépouilles de membres de la famille Philippe qui furent seigneurs de Trémaudan ; en fait cette chapelle était attachée à la terre de Boutniguel (aujourd’hui Boutenillet) et les seigneurs de Trémaudan possédaient en outre un droit d’enfeu dans l’église du prieuré de la Sainte-Trinité, devant l’autel Saint-Mathurin. L’oratoire de Saint Thomas semblait avoir été rattaché à la terre de Coapichet (aujourd’hui Couapichette) car les deux inhumations recensées au XVIIIe siècle concernaient les sieur et dame de ce lieu.
Il est des cas où les privilégiés, sorte de reconnaissance post mortem, font enterrer leurs serviteurs dans l’église : le 13 septembre 1719, Georges dit La Fontaine domestique chez Mr de la Faude de Saint-Malo de Lisle décédé d’un accident au château de Combourg est inhumé dans l’église de la paroisse. Le cocher de Mme de Coëtquen y est également enterré en 1717.
Par contre le cimetière représente, quoique béni et sacré, un éloignement physique de Dieu, loin aussi du lieu du sacrifice de la messe. Le cimetière est le lieu où sont inhumés les enfants anonymes décédés sans baptême, condamnés à l’errance dans les limbes et qui ont un emplacement spécifique tout comme les pauvres et les étrangers, les inconnus et les passants trouvés morts sur le territoire de la paroisse. Pour faire court on pourrait dire que le cimetière était le lieu des moins nantis et des petits enfants anonymes. Si pour les pauvres le choix ne s’impose guère, dans les hautes sphères locales il semble s’agir d’une décision dont les ressorts nous échappent: en 1737 une petite fille anonyme d’écuyer Pierre Auguste Philippe et d’Augustine de Lantivy seigneurs de Trémaudan est inhumée dans le cimetière, alors que tous les autres jeunes enfants du couple, baptisés, furent inhumés dans l’église paroissiale dans la chapelle Saint-Thomas ou encore Saint-Jean ou encore dans l’église du prieuré. A l’inverse, un enfant anonyme de noble homme Jacques et Jeanne Boullault, sieurs du Fresne est inhumé à l’église en 1757.
Aussi lorsque l’on est inhumé dans le cimetière et qu’on dispose de quelques moyens cherche t’on à reposer près d’une croix comme ce prêtre François Delon (55 ans) inhumé « proche la petite croix de pierre au milieu du cimetière… » . D’autres sont inhumés « proche la grande porte de l ‘église », près voire sous le reliquaire, du côté du presbytère, de l’Épître, de l’évangile, au pied ou proche du calvaire, vis à vis ou proche du Rosaire, sous le chapiteau …
Par contre on peut se faire inhumer au cimetière par humilité ou par volonté de reposer près des siens : ainsi en 1712, Toussaint Jourdan, prêtre âgé de 46 ans décédé en sa maison à Tramel est inhumé dans le cimetière « sous le tombeau de ses ancêtres » conformément à son testament alors qu’il aurait pu reposer à l’église. En 1745, Dame Yvonne Renée Prioul veuve de Messire René de Guéhéneuc chevalier seigneur de Saint-Léger est inhumée au cimetière « suivant sa dernière volonté ». Plus étonnant demeure l’apparition en 1763 de mentions « cimetière de cette église côté du midi » ou du nord, et qui semble concerner les gens aisés pour le sud et les autres pour le nord…Aussi se détermine, comme pour l’église et d’une manière plus sommaire, une sorte de hiérarchie dictée par les possibilités financières et l’assise sociale des défunts.
Ainsi s’achève cette pérégrination historique au sein d’une époque qui eut son lot de malheurs et dont on perçoit que la mort était une compagne familière. Dans un univers empreint de religiosité demeurait nonobstant l’espérance pour chacun, dans la mesure de ses dispositions pécuniaires, de reposer en terre consacrée et au plus près de Dieu…
Par Aline HOCH
L’architecte Jean-Marie LALOY est né le 29 novembre 1851 à Fougères et mort le 2 janvier 1927 à Rennes.
A la suite de ses études à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris, il s’installe à Rennes. Nommé architecte du Parlement de Rennes (pour les travaux de restauration) et des bâtiments de l’État, il occupe également le poste d’architecte du département d’Ille-et-Vilaine de 1884 à 1920. On lui doit notamment l’École nationale d’agriculture à Rennes (1893-96), la prison départementale Jacques Cartier (1900), l’hôpital (1914 - actuelle maison de retraite) et le groupe scolaire (1885 – actuel Cathédraloscope) de Dol-de-Bretagne, le théâtre de Fougères (1880-86, inspiré par celui d’Angers), 25 gendarmeries et de nombreux bâtiments publics. Il construit quelques maisons, notamment 6 villas balnéaires à Cancale.
Dans le cadre de la politique scolaire de la IIIème République (école publique, obligatoire, gratuite et laïque, promue par Jules FERRY), il conçoit 95 écoles dans le département, sur la base de plans-types.
Son style est empreint de rationalisme (commandes publiques obligent), de modernité et de régionalisme.
Franc-maçon, républicain et laïc convaincu, Jean-Marie LALOY participe également à la vie politique de Rennes en tant que conseiller municipal en 1881.
Son fils Pierre-Jack LALOY, également architecte, poursuivra son œuvre.
À Combourg, Jean-Marie LALOY conçoit les 4 écoles rurales à la fin du XIXème siècle aux lieux-dits la Haye (entrepreneur François ESNAULT), Vauluisant (1886 – entrepreneur Jean-Marie BOUGEARD), la Galonnière (1886 – entrepreneur Florent PLIHON) et Tervaux.
L’école est généralement constituée d’un volume RDC allongé comprenant la(les) salle(s) de classe, flanqué d’un bâtiment plus haut en R+Combles en retour d’équerre comprenant le logement de l’instituteur. Le préau est construit dans le prolongement des salles de classe. L’architecte adapte évidemment son projet au programme, à la topographie, à l’orientation et aux accès. Ainsi, les écoles rurales de Tervaux et de la Galonnière répondent parfaitement à ce plan-type (voir croquis). Aux lieux-dits la Haye et Vauluisant, les écoles ont un plan plus massé et les préaux sont construits, séparés du bâtiment principal par la cour de récréation.
L’architecte utilise des matériaux locaux : le granit (moellons et pierre de taille), la brique, l’ardoise… Les ouvertures, disposées de manière régulière, accueillent des menuiseries en bois à petits carreaux. Il y a peu de décor, si ce n’est des variations dans les appareillages de pierre, les encadrements des ouvertures en pierre de taille, un clocheton... Dans d’autres communes (plus de fonds disponibles ?) comme à Saint-Benoît-des-Ondes ou Plesder, l’architecte introduit des modénatures de briques, des incrustations de céramique, des panneaux/écriteaux « Ecole » incrustés dans la façade, des ouvertures en arc surbaissé, des épis de faîtage, etc.
Ces 4 anciennes écoles sont visibles depuis l’espace public. Transformées en habitation ou à l’abandon, elles restent des propriétés privées qu’il faut respecter.
École de Terveaux
Sources :
Benjamin Sabatier, « Jean-Marie et Pierre-Jack Laloy : un engagement laïc et républicain de père en fils », article de la revue Place Publique, n°05, mai-juin 2010
Notices du Service régional de l’Inventaire en Bretagne www.patrimoine.bzh. Les 4 photographies ci dessous ont été réalisées par Quillivic Claude et sont issues des notices.
École de la Haye - A l’abandon
École de la Galonnière
École de Vauluisant
École de Tervaux
Par Vincent PIOT
Ce manoir a été construit en 1581, par Gilles LEPRINCE et Jeanne DE MALTOUCHE son épouse, sur une terre non noble. Les murs sont en moellons de granite, les chaînes d'angle et les entourages des baies sont en pierre de taille de granite. Comme au XVIIIe siècle, des ardoises tapissent la toiture nord tandis que des tuiles couvrent celle du sud. La façade sud est flanqué d'une tourelle à l'angle ouest, d'une porte à fronton et de deux petites fenêtres au rez de chaussée, à noter qu'une seconde porte à la droite de la première a été ajoutée en 1833. A l'étage deux grandes fenêtres et deux lucarnes de façade à fronton ouvragé au dessus. Le pignon Est est composé à son angle sud d'une extension, on peut voir une autre porte à fronton et deux petites fenêtres au niveau du pignon. la façade sud possède une tour, avec une lucarne de façade à fronton ouvragé et deux lucarnes capucines semblant plus récentes.
En 1662, décède Guillaume LEPRINCE, Sieur de la Bérichère, qui est inhumé dans l'église des Carmes de Dol.
Paul Anne DE LAUNAY, Sieur de Villebermont à Pleine-Fougères, s'installe sur Combourg vers 1702, où il devient Avocat à la Cour - Sénéchal et Juge. Il achète alors différentes terres pour doter ses enfants de son vivant, ainsi, il achète la Ville Amaury en Bonnemain pour son fils Jacques Paul DE LAUNAY et la Bérichère pour sa fille Jacquemine Claude Scholastique DE LAUNAY.
Cette dernière se marie le 28 mai 1718 à Combourg avec Gabriel BOULLAULT, Sieur de La Ville-Tierce en Combourg, Avocat à la Cour, Juge de plusieurs Juridictions et Maire du Comté de Combourg. C'est l'un de leur fils cadet : Thomas François Gabriel BOULLAULT, né le 16 décembre 1739 à Combourg, qui hérite de la Bérichère lors du partage entre les enfants BOULLAULT-DE LAUNAY à la mort du père en 1758. Thomas François Gabriel BOULLAULT est nommé Receveur des Domaines du Roi à Rosporden, où il se marie en 1771 et où son seul fils qui lui survivra : Martin Joseph Thomas BOULLAULT, naît le 31 janvier 1772. Thomas François Gabriel BOULLAULT revient à Combourg vers 1774 et devient Procureur fiscal de la Chalopinais et autres juridictions en Combourg. Mais il meurt le 1er décembre 1781 à Combourg, laissant son fils orphelin de père à 9 ans. Ce dernier deviendra un Auteur dramatique très en vogue à Paris entre 1793 et 1803, sera par la suite Professeur de Littérature et de Grammaire à Nantes où il s'installe et se marie en 1813 sous le nom de BOULLAULT DE LA BERICHÈRE, il sera, à la fin de sa vie un poète acquis au second Empire, même s'il avait déjà été poète bien avant. Est il encore propriétaire de la terre de la Bérichère ? Rien n'est moins sûr. Toujours est il qu'il décédera en 1865 à Nantes à l'âge de 93 ans, ruiné. La vie et l’œuvre de cet auteur méritera un travail de notre association dans les années à venir.
À noter que la famille BOULLAULT, si elle est propriétaire des terres et du manoir, n'y réside pas au quotidien, mais demeure à Combourg. Les terres sont confiées à des fermiers qui leurs posèrent d'ailleurs des problèmes : en 1758, ceux-ci s'enfuient de la métairie et en 1767, Thomas BOULLAULT demande l'expulsion des occupants.
C'est le grand architecte rennais Raymond Cornon (1908-1982) qui a restauré le manoir vers 1974/1975, la tour étant à cette époque a demi effondrée...
La Terre Noble de la Roche a vraisemblablement appartenu au moins jusqu’au Xème siècle à la Famille du même nom, qui était toujours présente sur Cuguen lors de la réformation de 1478 avec Geoffroy de la Roche, fils de Guillaume ; lors de la montre de 1480 avec Gilles (sûrement Geoffroy) de la Roche, remplacé par son fils Jean (porteur d'une brigandine et qui comparaît en archer) et lors de la réformation de 1513 avec Léonard de la Roche.
Le site contenait il déjà une motte castrale ? C’est à dire une tour de guet, en bois, entourée d'une palissade et construite en hauteur sur une motte de terre, elle-même protégée par un fossé (la motte castrale est l'ancêtre du château fort). Certains historiens le pensent, d’autres non. Cependant si motte castrale il y eut, celle-ci aurait disparu lors de la construction de l’actuel château, rien ne peut donc être définitivement affirmé.
Toujours est il qu’entre la fin du Xème et le XIIème siècle, soit par le mariage d’une fille unique de la branche aînée des de la Roche, soit par vente, la terre noble de la Roche rentre dans le patrimoine d’une autre famille de Cuguen : celui de la famille de l’Espine.
La famille de l’Espine possédait la seigneurie du Plessis dit du « Plessis-Espine ». Eudon de l'Espine, est cité vers 1160 comme bienfaiteur de l'église de Cuguen, Hamon de l'Espine est fait prisonnier à Dol en 1173, Geffroy de l'Espine est qualifié de chevalier en 1190 et prend part, en 1205, aux États de Vannes, autre Geffroy de l'Espine est croisé en 1248. Les seigneurs de l’Espine avaient construits une première motte castrale au Plessis-Espine, puis une seconde à 150 mètres de la première qui conservait encore, en 1580, les traces d'une forteresse.
Guillaume (ou Eudon) de l'Espine eut pour fille Julienne de l'Espine qui épousa Guillaume Ier, sire de Montbourcher en Vignoc. La terre noble de la Roche changea alors une nouvelle fois de nom pour être appelée la Roche-Montbourcher, nom quelle conservera jusqu’à aujourd’hui.
La famille de Montbourcher, qui prend ainsi possession de la terre de la Roche, est une des plus anciennes famille de Haute-Bretagne. Son auteur serait un fils cadet de Tristan, baron de Vitré de 1030 à 1045, et d'Inoguen de Fougères, sa femme. Ce premier seigneur de Montbourcher posséda la seigneurie de Montbourcher située en Vignoc. Il eut deux fils, Simon Ier, qui lui succéda, et Guillaume, qui en 1096 suivit à la croisade le duc de Bretagne Alain Fergent. Simon II, sire de Montbourcher, fils de Simon Ier, fut en 1166 témoin d'une donation faite par le duc Conan. Guillaume Ier de Montbourcher, son fils et successeur, fut chargé en 1233 par Pierre Mauclerc de venger ce prince contre un de ses ennemis. Il épousa Julienne l'Espine, héritière de la Roche-l’Espine et décéda en 1259. Geffroy Ier, leur fils, partit pour la croisade en 1271 avec le duc Jean le Roux. Il s'unit à Tiphaine de Tinténiac. Guillaume II de Montbourcher, fils des précédents, épousa vers 1310 Anceline du Pinel, dame de cette terre. Son fils et successeur Geffroy II de Montbourcher s'unit à Seraine de Coësmes et mourut en 1330. Jean, leur fils, fut capitaine de Nantes et gouverneur du Limousin. Il se distingua en 1352 à la bataille de Mauron. Vint ensuite Guillaume III, sire de Montbourcher, qui eut, de son union avec Marie Couppu, Bertrand Ier, marié en 1384 à Roberde de Courceriers, grand-écuyer de Bretagne et chambellan du duc Jean V. Ces derniers eurent deux fils, Guillaume et Bertrand. Guillaume mourant sans enfant de sa femme, c’est son frère, Bertrand II, qui lui succède et épousa Jeanne d'Orenges. De cette union naquirent également deux garçons : René, mari d'Olive de Parthenay, sans postérioté, et Guillaume IV, sire de Montbourcher, qui épousa Françoise Thierry, fille de Julien Thierry, seigneur du Bois-Orcant en Noyal sur Vilaine.
Julien Thierry, fils de marchand mercier et marchand mercier lui-même, fait régulièrement commerce avec les riches Flandres. Comme de nombreux marchands qui réussissent, il se mue progressivement en banquier. Receveur et miseur de la ville de Rennes en 1467, puis Maître des Monnaies de Nantes, il devient en 1477 l’argentier du duc François II, puis de sa fille la duchesse Anne. Signe de sa réussite, il achète en 1475 et agrandit un manoir de prestige dans la campagne rennaise, le Bois-Orcan, doté de 126 ha de terres et bois. À Rennes, il quitte le vieux quartier marchand et fait construire un splendide hôtel non loin de la cathédrale, rue Saint Yves. Il fournit chevaux, cuivre, soufre ou salpêtre et même de la mitraille pour les armées ducales. Son fils, Michel Thierry, frère de la dame de Montbourcher, épouse Marguerite Boisvin, héritière de la Prévalaye. Il achète en 1495 à son beau frère la seigneurie de la Roche-Montbourcher. À partir de cette époque et jusqu'à la Révolution, les seigneurs de la Prévalaye furent en même temps seigneurs de la Roche. Ils voulurent même appeler cette terre la Roche-Thierry et rendirent quelques aveux en la nommant ainsi, mais le nom de Roche-Montbourcher est resté au vieux château. Le dernier seigneur de la Roche-Montbourcher, Pierre-Dymas Thierry, marquis de la Prévalaye, avait une sœur, Monique Thierry, mariée à Pélage de Coniac, seigneur d'Allineuc. Le petit-fils de ces derniers, M. Pélage de Coniac, qui fut adjoint au maire de Rennes, possédait au milieu du XIXème siècle la terre de la Roche-Montbourcher. Sa fille, Jacqueline, épousa Maurice Hubert de Castex, leur fille Renée épousa Jean de Seguin, famille originaire de La Réole en Aquitaine. Enfin leur fils Maurice de Seguin, décédé en 2021, était le père des propriétaires actuels.
Texte initial de Marc Déceneux, complété par Vincent Piot
avec les études de Christophe Amiot et Jérôme Cucarull
La construction du château de la Roche-Montbourcher est vraisemblablement dûe à Jean de Montbourcher, capitaine de Nantes pour Charles de Blois, dont il sera un fidèle soutien durant les guerres de succession de Bretagne, il sera gouverneur et sénéchal du Limousin en 1359 toujours pour Charles de Blois. Enfin, à partir de 1364, il se met au service de Betrand du Guesclin et le suit dans ses campagnes.
C’est lui qui possède la Roche entre 1330 et 1370. De cette époque date le plan général ainsi que le donjon, et peut être un peu plus tard le logis seigneurial disparu ainsi que la tour du Chesne. Son fils cadet, Guillaume III de Montbourcher vivait déjà sur les terres de son épouse Béatrix de Lansamort, dans le Craonnais, lorsqu’il hérita des titres et possessions de son frère aîné, Louis, décédé en 1381 sans héritier. Cependant, il ne s’occupa guère de la Roche qu’il donna à son fils aîné Bertrand Ier de Montbourcher lors de son mariage en 1384. Ce dernier fût grand écuyer de Bretagne de 1400 à 1420, puis en 1421 gentilhomme de la garde, en 1424 chambellan du duc, et en 1435, capitaine du château de Saint-Aubin-du-Cormier. Il fut fait prisonnier en 1427 dans un combat livré aux Anglais, près des grèves du mont Saint-Michel. Ce Seigneur dédaigne aussi la Roche pour s’installer en son manoir de Pinel, en Argentré du Plessis. Finalement, en 1429, le château est donné comme ruiné.
Et c’est Bertrand II de Montbourcher, son fils, qui procède à une restauration du château vers 1435-1440.
Forteresse de second rang, la Roche s'inscrit dans la ligne de défense des marches orientales de Bretagne, entre Dol et Saint-Aubin-du-Cormier, places ducales.
Il assure également, avec les châteaux de Combourg et de Landal, le contrôle de l’important carrefour entre la route de Fougères, Bazouges, Combourg et celle venant de Normandie par Pontorson. En août 1443, le Duc de Somerset, débarque à Cherbourg à la tête de 8000 hommes et prend la direction du sud. Les garnisons de Combourg, Landal et la Roche-Montbourcher sont mises en alerte. Ils n’auront pas à combattre, puisque les anglais partent pour le Maine et l’Anjou.
En 1454, le Duc Pierre III maintient l’obligation faite aux gens du Seigneur de Montbourcher, habitant Noyal sous Bazouge, à faire guet et garde au château de la Roche. En 1487, lors de la guerre contre la France, le Duc François II demande à René de Montbourcher, fils de Bertrand II, de résider et maintenir garnison au château de la Roche.
Après le rachat de la terre de la Roche par la famille Thierry, Julien Thierry, né vers 1545, Gouverneur et Capitaine de Rennes, chevalier de l’Ordre Royal de Saint Michel est en mission pour le Roi, quand en 1590, pendant les guerres de la Ligue son château de la Roche est tenu par des ligueurs, sans son autorisation. Il est alors assiégé par les troupes royales dirigée par François Ier d'Espinay de Saint-Luc, lieutenant général du Roi et pris après quelques échanges d’artillerie. Le château est alors pillé. Cependant, la population locale, qui avait été indisposée par la présence des ligueurs, se plaint auprès de François de Montpensier, Prince de Dombes, qui autorise la population à détruire le château pour en récupérer tout ce qui pourrait être utile.
C’est à son retour sur ses terres que Julien Thierry constatera que l’ensemble de son château, sa chapelle, son colombier, sa métairie, son moulin et autres dépendances avaient été brûlés et le tout ruiné de fond en comble. Le château est officiellement démantelé par une ordonnance de 1595 et abandonné par la suite.
La Châtellenie de la Roche-Montbourcher relevait de la baronnie de Combour comme juveignerie d'aîné. C'était une haute justice composée d'une douzaine de fiefs s'étendant en Cuguen, Combourg, Dingé et Noyal-sous-Bazouges. En 1530, François Thierry fut maintenu en possession des prééminences de l'église de Cuguen, dont il était le fondateur ; le sire de la Roche-Montbourcher avait également des droits honorifiques en l'église de Noyal-sous-Bazouges et le patronage du petit prieuré de la Roche-Montbourcher, membre de l'abbaye du Tronchet et fondé près de son château par ses prédécesseurs à une époque très reculée. Le domaine proche de la seigneurie comprenait le château de la Roche-Montbourcher, les métairies de la Roche et de la Fosse-Pornichet, les moulins à eau de la Roche et de la Busnelière, l'étang et le bois de la Roche, etc.
Positionné sur un plateau isolé au sud et à l’est par la vallée encaissée d’une rivière nommée du « Haut Montay », à l’ouest par un ravin aménagé à double talus, et au nord par un fossé artificiel. Le château lui même comprend deux parties. À l’est est une basse-cour quadrangulaire, d’environ soixante-dix mètres sur cinquante, entourée d’un rempart de terre et renforcée de mottes circulaires aux angles. Ces fortifications de terrassement étaient surmontées de défenses et de tours de bois. À l’ouest se trouve le château proprement dit, séparé de la basse cour par un fossé. On y accédait autrefois par la vallée qui descend au sud grâce à une rampe de remblai conduisant au fossé séparant les deux enceintes et où s’ouvrait l’entrée fortifiée.
Le château est entièrement construit en grand appareil, à base talutée ininterrompue sur toute la périphérie de l’ouvrage : à plusieurs endroits, le soubassement de ce massif est encore visible. Plusieurs bâtiments, tous couverts en tuiles, occupaient cet espace autour de la Haute Cour qui présentait un plan en triangle irrégulier de 55 mètres d’est en ouest et de 30 mètres du nord au sud. On distingue quelques restes imperceptibles de ce qui fut sans doute un corps de garde près de l’entrée (la Tour Brette ?). À l’angle nord-ouest, près de la grosse tour carrée, on peut voir des ruines qui sont celles de la chapelle.
Mais la partie la plus spectaculaire du château est sans conteste le front ouest où se dressent les ruines de deux grosses tours découronnées, l’une carrée au milieu du massif, le donjon, et l’autre ronde, à l’angle sud ouest, qui constitue la pointe la plus escarpée du plateau.
La tour ronde, dite du Chesne, présente trois niveaux intérieurs. Le premier est de plan circulaire et n’est percé que de deux meurtrières à échancrures pour le tir d’artillerie. Les deux autres niveaux, de plan carré, renferment chacun une chambre équipée d’une cheminée à moulures et éclairée par une fenêtre à coussièges. À la gorge, le mur est plat et en partie écroulé, on y voit cependant, à la hauteur du troisième niveau, une porte de communication et les restes d’une cheminée appartenant à un bâtiment disparu (le logis seigneurial), sur lequel la tour était articulée, et qui se développait vers le nord, vers la Tour Carrée, dont il s’arrêtait à environ quatre mètres.
Cette dernière fait 10,50 mètre de côté, avec des murs très épais (2,50 mètres) et qui ne possède qu’un accès : une porte dans la face sud, ménagée à la hauteur du premier étage, que fermait autrefois un petit pont-levis dont le logement du bras se voit encore. Elle contient, elle aussi, trois niveaux intérieurs que reliaient des escaliers en bois. Le premier, comme dans la tour ronde, n’était percé que de meurtrières. Il surmontait sans doute une cave, car le parement intérieur semble se continuer plus bas. Le premier et le second étage étaient des niveaux d’habitation : les fenêtres sont garnies de coussièges et dans l’intérieur des murs sont ménagés des cheminées. Les commencement d’un dernier étage arasé, nous indique qu’il existait encore un étage résidentiel, avant de terminer sur un possible chemin de ronde.
Ces deux tours formaient, avec le bâtiment disparu, un ensemble résidentiel qui pourrait comprendre une autre tour, plus petite, dont les fondations subsistent près de l’angle sud-est et non loin de la tour ronde, et qui surplombait la rampe d’accès à la forteresse. Les deux tours encore visibles renfermaient des chambres, tandis que le logis central contenait des grandes salles rectangulaires.
Au sud du château, se trouve une digue, encore en place, qui permettait de retenir les eaux de la rivière, formant un étang. Trois cent mètres encore plus au sud, on trouve le moulin du château, dont les ruines subsistent jusqu’au premier niveau, le pignon où se trouvait la roue étant édifié avec un très bel appareil de pierre de taille, comparable à celui du donjon. L’intérieur possède une cheminée identique à celles de la tour ronde. Un peu plus au sud, se situait la maison du meunier. Le colombier et le four étaient implantés de l’autre côté de la rivière. Enfin, la métairie, brulée en 1590, a été reconstruite en 1611, mais tombe depuis en ruines.